Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/10

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dindes. On me laisse pétrir des boulettes de son mouillé, avec lesquelles on les bourre, et elles étouffent. Ma grande joie est de les voir suffoquer, devenir bleues. Il paraît que j’aime le bleu !

Ma mère apparaît souvent pour me prendre par les oreilles et me calotter. C’est pour mon bien ; aussi, plus elle m’arrache de cheveux, plus elle me donne de taloches, et plus je suis persuadé qu’elle est une bonne mère et que je suis un enfant ingrat.

Oui ingrat ! car il m’est arrivé quelquefois, le soir, en grattant mes bosses, de ne pas me mettre à la bénir, et c’est à la fin de mes prières, tout à fait, que je demande à Dieu de lui garder la santé pour veiller sur moi et me continuer ses bons soins.


Je suis grand, je vais à l’école.

Oh ! la belle petite école ! Oh ! la belle rue ! et si vivante, les jours de foire !

Les chevaux qui hennissent ; les cochons qui se traînent en grognant, une corde à la patte ; les poulets qui s’égosillent dans les cages ; les paysannes en tablier vert, avec des jupons écarlates ; les fromages bleus, les tomes fraîches, les paniers de fruits ; les radis roses, les choux verts !…

Il y avait une auberge tout près de l’école, et l’on y déchargeait souvent du foin.

Le foin, où l’on s’enfouissait jusqu’aux yeux, d’où l’on sortait hérissé et suant, avec des brins qui vous étaient restés dans le cou, le dos, les jambes, et vous piquaient comme des épingles !…