Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/100

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Ils ne battaient pas leurs enfants — et ils faisaient l’aumône. Ce n’était pas comme chez nous.


Pendant toute mon enfance, j’ai entendu ma mère dire qu’il ne fallait pas donner aux pauvres, que l’argent qu’ils recevaient ils l’allaient boire, que mieux valait jeter un sou dans la rivière ; qu’au moins il ne roulait pas au cabaret. Je n’ai jamais pu cependant voir un homme demander un sou pour acheter du pain, sans qu’il me tombât du chagrin sur le cœur, comme un poids.

Mais comment cela se fait-il cependant ?

Madame Vincent était contente quand son fils tirait un des sous de sa petite bourse pour le mettre dans la main d’un malheureux. Elle embrassait Ernest et disait : « Il a bon cœur ! »

Madame Vincent voulait donc le malheur de son fils ? Elle l’aimait pourtant, sans cela elle l’aurait donné à l’homme au burnous blanc.

Ah ! elles me troublaient un peu les braves femmes, la mère Vincent et la mère Fabre ! Heureusement cela ne durait pas et ne tenait pas une minute quand j’y réfléchissais.

Elles n’osaient pas battre leur enfant, parce qu’elles auraient souffert de le voir pleurer ! Elles lui laissaient faire l’aumône, parce que cela faisait plaisir à leur petit cœur.

Ma mère avait plus de courage. Elle se sacrifiait, elle étouffait ses faiblesses, elle tordait le cou au premier mouvement pour se livrer au second. Au lieu