Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/118

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va donner tort à sa mère à présent ! Allons, prends tes livres. Sais-tu tes leçons pour ce soir ? »


Oh ! l’île déserte, les bêtes féroces, les pluies éternelles, les tremblements de terre, la peau de bête, le parasol, le pas du sauvage, tous les naufrages, toutes les tempêtes, des cannibales, — mais pas les leçons pour ce soir !

Je grelottai tout le jour. Mais je n’étais plus seul ; j’avais pour amis Crusoé et Vendredi. À partir de ce moment, il y eut dans mon imagination un coin bleu, dans la prose de ma vie d’enfant battu la poésie des rêves, et mon cœur mit à la voile pour les pays où l’on souffre, où l’on travaille, mais où l’on est libre.

Que de fois j’ai lu et relu ce Robinson !

Je m’occupai de savoir à qui il appartenait ; il était à un élève de quatrième qui en cachait bien d’autres dans son pupitre ; il avait le Robinson suisse, les Contes du Chanoine Schmidt, la Vie de Cartouche, avec des gravures.


Ici se place un acte de ma vie que je pourrais cacher. Mais non ! Je livre aujourd’hui, aujourd’hui seulement, mon secret, comme un mourant fait appeler le procureur général et lui confie l’histoire d’un crime. Il m’est pénible de faire cette confession, mais je le dois à l’honneur de ma famille, au respect de la vérité, à la Banque de France, à moi-même.

J’ai été faussaire ! La peur du bagne, la crainte de désespérer des parents qui m’adoraient, on le sait,