Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/154

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le receveur particulier qui marche devant moi et que j’imite un peu.

Il n’y a pas de devoirs, pas de pensums, ni père ni mère, personne, rien !

Il y a le tambour de ville qui s’arrête au coin du carrefour et amasse les gens ; il y a les officiers à épaulettes d’or que je frôle ; j’ai le droit d’aller à tous les rassemblements, d’écouter et de voir si quelqu’un fait une farce.

Je me fais cirer mes souliers tous les matins par Moustache. Ah ! mais !

Il m’a fallu seulement un mois de vacances avec la vache à conduire, les courses dans les champs, les promenades seul, pour m’ouvrir les idées et le cœur !


Nous allons le soir au café ; on est trois ou quatre anciens camarades ; on joue sa demi-tasse, son petit verre et l’on fait brûler son eau-de-vie ! Cette fumée, cette odeur d’alcool, le bruit des billes, le saut des bouchons, les gros rires, tout cela double mes sens et il me semble qu’il m’est poussé des moustaches et que je soulèverais le billard !

On va en sortant au Fer-à-Cheval faire un tour — comme des rentiers ! — On s’arrête en rond aux moments intéressants, je marche quelquefois à reculons devant la bande.

Puis l’âge reprend le dessus.

« C’est toi qui l’es ! Sauterais-tu ce banc à pieds joints ? Lèverais-tu cette pierre à bras tendu ?

— Je parie que je renverse Michelon. »