Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/198

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Je veux crier.

« Non, non ! fait mon père en me fermant la bouche, non ! » — Il me brise presque les dents sous son poing. — « Non, non ! » — Il y a autant de colère que de terreur dans sa voix.

Je me penche sur ma mère évanouie ; j’inonde sa face de mes larmes. C’est bon, il paraît, des larmes d’enfant qui tombent sur les fronts des mères ! La mienne ouvre tout d’un coup les yeux, et me reconnaît, elle dit : « Jacques ! Jacques ! » — Elle prend ma main dans sa main, et elle la presse. C’est la première fois de sa vie.

Je ne connaissais que le calus de ses doigts, l’acier de ses yeux et le vinaigre de sa voix : en ce moment, elle eut une minute d’abandon, un accès de tendresse, une faiblesse d’âme, elle laissa aller doucement sa main et son cœur.

Je sentis à ce mouvement de bonté que lui arrachait l’effroi dans cet instant suprême, je sentis que tous les gestes bons auraient eu raison de moi dans la vie.

« Retourne te coucher », m’a dit mon père.

J’y retourne glacé, j’ai attrapé froid sur les dalles de l’escalier, puis dans la grande chambre, avec les fenêtres ouvertes, pour que la malade eût de l’air !


Qu’est-il donc arrivé ?

Mon cœur aussi a son orage, et je ne puis assembler deux pensées, réfléchir dans ma fièvre ! Les heures tombent une à une.