Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/221

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je porte des bagages, à deux heures de la nuit, dans une ville de province, que nous ne connaissons pas…

« C’est Jeanne Darc, reprend ce père accusé d’être léger devant son enfant, celle qui a sauvé la France !

— Oui, répond ma mère d’un air distrait, et elle ajoute d’un air content : on peut s’asseoir contre. »


Nous avons passé la nuit là — c’était un peu dur, mais on avait le dos appuyé.

Un sergent de ville qui nous a vus s’est approché.

Le sergent de ville nous a pris pour une famille de pèlerins fanatiques, qui étaient venus tomber d’épuisement — avec beaucoup de bagages, par exemple, — aux pieds de leur sainte ; — il ne nous a pas brusqués, mais il nous a dit qu’il fallait partir, il s’est offert à nous mener dans une auberge tenue par son beau-frère même, au bout de la rue, près du marché.

« Tu n’as pas faim ? demande mon père à ma mère pendant le chemin.

— Pourquoi aurais-je faim ? »

Il faut dire que mon père, dans la soirée, avait parlé de dîner au buffet de Vierzon, de peur de manger trop tard si on ne prenait pas cette précaution. Ma mère s’y était opposée et elle n’entendait pas qu’on eût l’air de jeter un reproche sur sa décision en lui demandant si elle avait faim.

Mon père ne souffle mot. — Le sergent de ville coule vers ma mère un regard de terreur.


Nous sommes dans l’auberge.