foie de veau qu’elle avait demandé à la cuisine, et qu’on lui avait enfoui dans du pain ; — elle mordait là-dedans !
Mon père a mangé à en éclater, — il en a les oreilles bleues.
Il ne s’est pas rebiffé cette nuit, parce qu’il a les mains liées et qu’il a commis, au moment du départ une grande imprudence. Il a confié à ma mère tout l’argent.
Ma mère avait dit, sans avoir l’air de rien :
« Mes poches sont plus grandes que les tiennes, l’argent y tiendra mieux ; c’est moi qui payerai en route. »
Mon père n’a pas compris tout de suite l’étendue de son malheur, la gravité de la faute ; mais au premier relais il a senti la blessure. Il ne lui restait plus rien, pas une pièce d’un franc, pas une pièce de deux sous. Il avait vidé sa monnaie dans les mains des gens à pourboire, porteurs du roulage ou facteurs des messageries, et il n’avait pas même de quoi prendre un verre de groseille.
Il mourait de soif.
« Donne-moi de l’argent.
— Tu veux de l’argent ?…
— Oui, Jacques a soif… »
Ma mère se tourne vers moi.
« Tu as soif ? »
Ma foi ! Je veux bien soutenir mon père, quand c’est possible ; mais, pourquoi, quand il a soif, dit-il que c’est moi ?