Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/231

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le payerai jamais trop cher, et, quand je serai arrivé vous pourrez me battre…


C’est mon jour de chance !

Une dame est venue s’asseoir près de nous et la conversation s’est engagée. Madame Vingtras est toujours aux anges quand une femme bien mise lui fait l’honneur de causer avec elle.

On parle, et les enfants qui viennent de temps en temps, rire à leur mère, m’entraînent dans leurs jeux.

« Jacques, reste là.

— Laissez-les s’amuser ensemble, dit avec un air de bonté l’interlocutrice élégante.

— Vous n’avez pas peur qu’ils se noient ? »

C’est tout ce que ma mère trouve à dire, mais elle est flattée que son fils soit admis dans un jeu d’enfants de riches, et si je me noie, tant pis !


Je crois vraiment qu’elle a peur que je me noie ! Quand nous approchons d’un feu, elle a peur que je me brûle. Un jour, un ballon partait dans la cour du collège, elle a crié : « Il va t’emporter ! »

Mais elle ne sait donc pas que chaque fois qu’elle a soufflé ou tapé sur ma curiosité, mes envies ont enflé comme ma peau sous le fouet.

C’est plus fort que moi. Je me dis que je ne dois pas être plus poltron que les autres, et je cherche toutes les occasions de m’amuser comme mes camarades s’amusent ; ils ne se noient pas, ils ne se brûlent pas, les ballons ne les emportent pas. Et je n’ai