Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/275

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« Tu es l’Imagination folle… »

Mon père joue l’égarement et fait des grimaces terribles.

« Moi, reprend Bergougnard, je suis la Raison froide, glacée, implacable. » Et il met sa canne toute droite entre ses jambes.

Il ajuste en même temps, sur un nez jaunâtre, piqué de noir comme un dé, il ajuste une paire de lunettes blanches qui ressemblent à des lentilles solaires, et me font peur pour mon habit un peu sec.

On croit qu’elles vont faire des trous. Je me demande même quelquefois si elles ne lui ont pas cuit les yeux, qui ont l’air d’une grosse tache noire, là-dessous.

« Je suis la Raison froide, glacée, implacable… »

Il y tient. Il dit cela presque en grinçant des dents, comme s’il écrasait un dilemme et en mâchait les cornes.

Il a été dans l’Université aussi, ça se voit bien ; mais il en est sorti pour épouser une veuve, — qui crut se marier à un grand homme et lui apporta des petites rentes, avec lesquelles il put travailler à son grand livre De la Raison chez les Grecs.

Il y travaille depuis trois ans ; toujours en ayant l’air de grincer des dents ; il tord les arguments comme du linge, il veut raisonner serré, lui, il ne veut pas d’une logique lâche, — ce qui le constipe, il paraît, et lui donne de grands maux de tête.

« Le cerveau, vois-tu, dit-il à mon père, en se tapotant le front avec l’index…