Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/307

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Nous étions au théâtre. Madame Devinol me dit :

« Tu as l’air tout drôle aujourd’hui. Qu’as-tu donc ? Tu es fâché ?… »


Fâché ! elle croit que je puis être fâché contre elle, moi qui ai quinze ans, des lacets de cuir, qui ai un pensum à faire pour demain, moi l’indécrottable.

Je ne suis pas fâché. Mais je me suis, hier, presque coupé le bout de nez en me rasant, et j’ai une petite place rose comme une bague.

Je dirai tout de même : je suis fâché !

C’est commode comme tout. J’ai un prétexte pour lui tourner le dos et cacher mon nez.


Je m’arrangeai pour n’être pas premier, tant que la cicatrice fit anneau, et pour n’être pas là quand elle venait à la maison. Enfin, il ne resta qu’une petite place blanche d’un côté. Je pus lui parler de profil.

Quelles soirées !

Nous revenons du théâtre ensemble et tout seuls quelquefois. Son mari ne s’occupe point d’elle, il est toujours au Café des acteurs, où l’on fait la partie après le spectacle. C’est un joueur. Elle prend mon bras la première, et elle le presse. Elle languit contre moi. Je sens depuis son épaule jusqu’à ses hanches. Il y a toujours une de ses mains qui me touche la main ; le bout de ses doigts traîne sur mon poignet entre ma manche et mon gant.

Arrivés à sa porte, nous revenons sur nos pas, et nous recommençons ce manège jusqu’à ce qu’elle se dé-