Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/45

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une lime, qui exaspère les doigts quand on la touche, et qui flambe au grand air comme une casserole ! Une belle étoffe, vraiment, et qui vient de la grand’mère, et qu’on a payée à prix d’or. « Oui, mon enfant, à prix d’or, dans l’ancien temps. »

« Jacques, je vais te faire une redingote avec ça, m’en priver pour toi !… et ma mère ravie me regarde du coin de l’œil, hoche la tête, sourit du sourire des sacrifiées heureuses.

« J’espère qu’on vous gâte, Monsieur », et elle sourit encore, et elle dodeline de la tête, et ses yeux sont noyés de tendresse.

« C’est une folie ! tant pis ! on fera une redingote à Jacques avec ça. »

On m’a essayé la redingote, hier soir, et mes oreilles saignent, mes ongles sont usés. Cette étoffe crève la vue et chatouille si douloureusement la peau !

« Seigneur ! délivrez-moi de ce vêtement ! »

Le ciel ne m’entend pas ! La redingote est prête.


Non, Jacques, elle n’est pas prête. Ta mère est fière de toi ; ta mère t’aime et veut te le prouver.

Te figures-tu qu’elle te laissera entrer dans ta redingote, sans ajouter un grain de beauté, une mouche, un pompon, un rien sur le revers, dans le dos, au bout des manches ! Tu ne connais pas ta mère, Jacques !

Et ne la vois-tu pas qui joue, à la fois orgueilleuse et modeste, avec des noyaux verts !

La mère de Jacques lui fait même kiki dans le cou.