Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de table sans avoir les yeux hors de la tête, les joues luisantes, l’oreille en feu. Sa bouche laisse passer un souffle qui sent le fût, et son nez a l’air d’une tomate écorchée. Son bréviaire embaume la matelotte.

Il a une bonne, mademoiselle Henriette, qu’il regarde de côté, quand il a bu. On parle quelquefois d’elle et de lui dans les coins.


Au second, M. Grélin. Il est lieutenant des pompiers, et, le jour de la Fête-Dieu, il commande sur la place. M. Grélin est architecte, mais on dit qu’il n’y entend rien, que « c’est lui qui est cause que le Breuil est toujours plein d’eau, qu’il a coûté 50,000 fr. à la ville, et que, sans sa femme… » On dit je ne sais quoi de sa femme. Elle est gentille, avec de grands yeux noirs, de petites dents blanches, un peu de moustache sur la lèvre ; elle fait toujours bouffer son jupon et sonner ses talons quand elle marche.

Elle a l’accent du Midi, et nous nous amusons à l’imiter quelquefois.

On dit qu’elle a des « amants ». Je ne sais pas ce que c’est, mais je sais bien qu’elle est bonne pour moi, qu’elle me donne, en passant, des tapes sur les joues, et que j’aime à ce qu’elle m’embrasse, parce qu’elle sent bon. Les gens de la maison ont l’air de l’éviter un peu, mais sans le lui montrer.

« Vous dites donc qu’elle est bien avec l’adjoint ?

— Oui, oui, au mieux !

— Ah ! ah ! et ce pauvre Grélin ? »