Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/82

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Les parapluies énormes, couleur sang de bœuf, les longs bâtons qui ont le bout comme un oignon, les petites poules noires qui se cognent contre les cages, les coqs fiers, à la queue en cercle et aux pattes à la hussarde…

C’est l’arche de Noé en plein vent, déballée sur un lit de fumier, de paille et de feuillage.

La fontaine claire vomit par la gueule de ses lions des nappes de fraîcheur.


Un homme qui a une tête de belette, la mine triste, qui n’a pas l’air d’un paysan, ni d’un ouvrier, mais d’un mendiant endimanché ou d’un prisonnier libéré de la veille, montre dans un panier des petits loups vivants.

Prisonnier ! Mendiant !

Il appartient, bien sûr, à cette race.

On ne veut pas de lui dans les fermes, parce qu’il y a quelque histoire dans sa vie.

Il est le fils d’un guillotiné ou d’un galérien ; ou bien il a lui-même eu affaire aux gendarmes.

Il rôde sur la marge des bois, sur le bord des rivières, dans la montagne.

Quand il peut attraper un renard, un loup, — quelquefois il blesse un aigle, — il montre sa bête ou sa nichée pour deux sous à la ville ; pour un morceau de lard dans les villages.

J’ai eu peur de lui jusqu’au jour où mon oncle Joseph lui a donné dix sous et lui a parlé :

« Comment ça va, Désossé ? »