Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/90

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Mon père dit : « Non, non ! » — c’est-à-dire — il ne sait plus trop.

Il va pour m’embrasser à mon tour il me rate ; comme il a raté ma mère. Pas de chance pour les embrassades, pas de veine pour les baisers.

« J’étais avec l’économe, M. Laurier, tu sais… Je croyais que la diligence… »

On ne lui répond rien, rien, rien.


Nous prenons un fiacre pour nous rendre à la maison.

Du silence tout le long de la route, du silence et de la neige. Mon père regarde à la portière, ma mère s’est accroupie dans un coin, je suis au milieu, n’osant bouger de crainte qu’on n’entende tourner mes os, virer ma tête. Je tourmente du bout du doigt un gland de parapluie ; à ce moment le parapluie m’échappe — je me penche pour le rattraper ; mon père se tournait — pan ! — Nous nous cognons — nous nous relevons comme deux Guignols ! — Encore un faux mouvement — pan, pan ! — c’est en mesure.

Le sourire jaune reparaît sur la face de mon père ; des changements visibles s’opèrent sur la mienne. C’était la lutte de l’œuf dur contre l’œuf mollet. Mon père a pu supporter le choc et il sourit. — Bonne nature ! Mais moi j’ai une bosse qui enfle, c’est pesant comme une maison. Mon père étend sa main dans l’obscurité, pour tâter, et aussi parce que mon front a l’air d’avancer et va le gêner tout à l’heure ; il étend la main, c’est mon nez qu’il attrape ; il croit