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les naufragés de l’air.

poursuivre ce gibier élastique, qui rebondissait comme une balle. Après cinq minutes de course, ils étaient essoufflés, et la bande disparaissait dans le taillis. Top n’avait pas eu plus de succès que ses maîtres.

« Monsieur Cyrus, dit Pencroff, lorsque l’ingénieur et le reporter l’eurent rejoint, monsieur Cyrus, vous voyez bien qu’il est indispensable de fabriquer des fusils. Est-ce que cela sera possible ?

— Peut-être, répondit l’ingénieur, mais nous commencerons d’abord par fabriquer des arcs et des flèches, et je ne doute pas que vous ne deveniez aussi adroits à les manier que des chasseurs australiens.

— Des flèches, des arcs ! dit Pencroff avec une moue dédaigneuse. C’est bon pour des enfants !

— Ne faites pas le fier, ami Pencroff, répondit le reporter. Les arcs et les flèches ont suffi, pendant des siècles, à ensanglanter le monde. La poudre n’est que d’hier, et la guerre est aussi vieille que la race humaine, — malheureusement !

— C’est ma foi vrai, monsieur Spilett, répliqua le marin, et je parle toujours trop vite. Faut m’excuser ! »

Cependant, Harbert, tout à sa science favorite, l’histoire naturelle, fit un retour sur les kangourous, en disant :

« Du reste, nous avons eu affaire là à l’espèce la plus difficile à prendre. C’étaient des géants à longue fourrure grise ; mais, si je ne me trompe, il existe des kangourous noirs et rouges, des kangourous de rochers, des kangourous-rats, dont il est plus aisé de s’emparer. On en compte une douzaine d’espèces…

— Harbert, répliqua sentencieusement le marin, il n’y a pour moi qu’une seule espèce de kangourou, le « kangourou à la broche », et c’est précisément celle qui nous manquera ce soir ! »

On ne put s’empêcher de rire en entendant la nouvelle classification de maître Pencroff. Le brave marin ne cacha point son regret d’en être réduit pour dîner aux faisans-chanteurs ; mais la fortune devait se montrer encore une fois complaisante pour lui.

En effet, Top, qui sentait bien que son intérêt était en jeu, allait et furetait partout avec un instinct doublé d’un appétit féroce. Il était même probable que si quelque pièce de gibier lui tombait sous la dent, il n’en resterait guère aux chasseurs, et que Top chassait alors pour son propre compte ; mais Nab le surveillait, et il fit bien.

Vers trois heures, le chien disparut dans les broussailles, et de sourds grognements indiquèrent bientôt qu’il était aux prises avec quelque animal.