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l’île mystérieuse.

c’eût été son propre enfant. N’ayant pu quitter la ville avant les premières opérations du siège, il s’y trouva donc bloqué, à son grand déplaisir, et il n’eut plus aussi, lui, qu’une idée : s’enfuir par tous les moyens possibles. Il connaissait de réputation l’ingénieur Cyrus Smith. Il savait avec quelle impatience cet homme déterminé rongeait son frein. Ce jour-là, il n’hésita donc pas à l’aborder en lui disant sans plus de préparation :

« Monsieur Smith, en avez-vous assez de Richmond ? »

L’ingénieur regarda fixement l’homme qui lui parlait ainsi, et qui ajouta à voix basse :

« Monsieur Smith, voulez-vous fuir ?


« Monsieur Smith, voulez-vous fuir ? »

— Quand cela ?… » répondit vivement l’ingénieur, et on peut affirmer que cette réponse lui échappa, car il n’avait pas encore examiné l’inconnu qui lui adressait la parole.

Mais après avoir, d’un œil pénétrant, observé la loyale figure du marin, il ne put douter qu’il n’eût devant lui un honnête homme.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il d’une voix brève.

Pencroff se fit connaître.

« Bien, répondit Cyrus Smith. Et par quel moyen me proposez-vous de fuir ?

— Par ce fainéant de ballon qu’on laisse là à rien faire, et qui me fait l’effet de nous attendre tout exprès !… »

Le marin n’avait pas eu besoin d’achever sa phrase. L’ingénieur avait compris d’un mot. Il saisit Pencroff par le bras et l’entraîna chez lui.

Là, le marin développa son projet, très-simple en vérité. On ne risquait que sa vie à l’exécuter. L’ouragan était dans toute sa violence, il est vrai, mais un ingénieur adroit et audacieux, tel que Cyrus Smith, saurait bien conduire un aérostat. S’il eût connu la manœuvre, lui, Pencroff, il n’aurait pas hésité à partir, — avec Harbert, s’entend. Il en avait vu bien d’autres, et n’en était plus à compter avec une tempête !

Cyrus Smith avait écouté le marin sans mot dire, mais son regard brillait. L’occasion était là. Il n’était pas homme à la laisser échapper. Le projet n’était que très-dangereux, donc il était exécutable. La nuit, malgré la surveillance, on pouvait aborder le ballon, se glisser dans la nacelle, puis couper les liens qui le retenaient ! Certes, on risquait d’être tué, mais, par contre, on pouvait réussir, et sans cette tempête… Mais sans cette tempête, le ballon fût déjà parti, et l’occasion, tant cherchée, ne se présenterait pas en ce moment !

« Je ne suis pas seul !… dit en terminant Cyrus Smith.