Page:Jules Verne - L’Île mystérieuse.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
213
l’abandonné.

jeune garçon, qui avait acquis une adresse remarquable dans le maniement de l’arc ou de l’épieu. Harbert montrait aussi une grande hardiesse, avec beaucoup de ce sang-froid que l’on pourrait justement appeler « le raisonnement de la bravoure ». Les deux compagnons de chasse, tenant compte, d’ailleurs, des recommandations de Cyrus Smith, ne sortaient plus d’un rayon de deux milles autour de Granite-house, mais les premières rampes de la forêt fournissaient un tribut suffisant d’agoutis, de cabiais, de kangourous, de pécaris, etc, et si le rendement des trappes était peu important depuis que le froid avait cessé, du moins la garenne donnait-elle son contingent accoutumé, qui eût pu nourrir toute la colonie de l’île Lincoln.

Souvent, pendant ces chasses, Harbert causait avec Gédéon Spilett de cet incident du grain de plomb, et des conséquences qu’en avait tirées l’ingénieur, et un jour — c’était le 26 octobre — il lui dit :

« Mais, Monsieur Spilett, ne trouvez-vous pas très-extraordinaire que si quelques naufragés ont débarqué sur cette île, ils ne se soient pas encore montrés du côté de Granite-house ?

— Très-étonnant, s’ils y sont encore, répondit le reporter, mais pas étonnant du tout, s’ils n’y sont plus !

— Ainsi, vous pensez que ces gens-là ont déjà quitté l’île ? reprit Harbert.

— C’est plus que probable, mon garçon, car si leur séjour s’y fût prolongé, et surtout s’ils y étaient encore, quelque incident eût fini par trahir leur présence.

— Mais s’ils ont pu repartir, fit observer le jeune garçon, ce n’étaient pas des naufragés ?

— Non, Harbert, ou, tout au moins, ils étaient ce que j’appellerai des naufragés provisoires. Il est très-possible, en effet, qu’un coup de vent les ait jetés sur l’île, sans avoir désemparé leur embarcation, et que, le coup de vent passé, ils aient repris la mer.

— Il faut avouer une chose, dit Harbert, c’est que M. Smith a toujours paru plutôt redouter que désirer la présence d’êtres humains sur notre île.

— En effet, répondit le reporter, il ne voit guère que des Malais qui puissent fréquenter ces mers, et ces gentlemen-là sont de mauvais chenapans qu’il est bon d’éviter.

— Il n’est pas impossible, monsieur Spilett, reprit Harbert, que nous retrouvions, un jour ou l’autre, des traces de leur débarquement, et peut-être serons-nous fixés à cet égard ?

— Je ne dis pas non, mon garçon. Un campement abandonné, un feu éteint,