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l’île mystérieuse.

lation de la mer venait baigner les racines. Or, c’était vers ce côté, c’est-à-dire sur toute la presqu’île Serpentine, que l’exploration devait être continuée, car cette partie du littoral offrait des refuges que l’autre, aride et sauvage, eût évidemment refusés à des naufragés, quels qu’ils fussent.

Le temps était beau et clair, et du haut d’une falaise, sur laquelle Nab et Pencroff disposèrent le déjeuner, le regard pouvait s’étendre au loin. L’horizon était parfaitement net, et il n’y avait pas une voile au large. Sur tout le littoral, aussi loin que la vue pouvait atteindre, pas un bâtiment, pas même une épave. Mais l’ingénieur ne se croirait bien fixé à cet égard que lorsqu’il aurait exploré la côte jusqu’à l’extrémité même de la presqu’île Serpentine.

Le déjeuner fut expédié rapidement, et, à onze heures et demie, Cyrus Smith donna le signal du départ. Au lieu de parcourir, soit l’arête d’une falaise, soit une grève de sable, les colons durent suivre le couvert des arbres, de manière à longer le littoral.

La distance qui séparait l’embouchure de la rivière de la Chute du promontoire du Reptile était de douze milles environ. En quatre heures, sur une grève praticable, et sans se presser, les colons auraient pu franchir cette distance ; mais il leur fallut le double de ce temps pour atteindre leur but, car les arbres à tourner, les broussailles à couper, les lianes à rompre, les arrêtaient sans cesse, et des détours si multipliés allongeaient singulièrement leur route.

Du reste, il n’y avait rien qui témoignât d’un naufrage récent sur ce littoral. Il est vrai, ainsi que le fit observer Gédéon Spilett, que la mer avait pu tout entraîner au large, et qu’il ne fallait pas conclure, de ce qu’on n’en trouvait plus aucune trace, qu’un navire n’eût pas été jeté à la côte sur cette partie de l’île Lincoln.

Le raisonnement du reporter était juste, et, d’ailleurs, l’incident du grain de plomb prouvait d’une façon irrécusable que, depuis trois mois au plus, un coup de fusil avait été tiré dans l’île.

Il était déjà cinq heures, et l’extrémité de la presqu’île Serpentine se trouvait encore à deux milles de l’endroit alors occupé par les colons. Il était évident qu’après avoir atteint le promontoire du Reptile, Cyrus Smith et ses compagnons n’auraient plus le temps de revenir, avant le coucher du soleil, au campement qui avait été établi près des sources de la Mercy. De là, nécessité de passer la nuit au promontoire même. Mais les provisions ne manquaient pas, et ce fut heureux, car le gibier de poil ne se montrait plus sur cette lisière, qui n’était qu’un littoral, après tout. Au contraire, les oiseaux y fourmillaient, jacamars, couroucous, tragopans, tétras, loris, perroquets, kakatoès, faisans,