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Page:Jules Verne - L’Île mystérieuse.djvu/310

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l’île mystérieuse.

à demi bordé. On pouvait déjà reconnaître que ses formes seraient excellentes pour qu’il tînt bien la mer.

Pencroff travaillait avec une ardeur sans pareille, et il fallait sa robuste nature pour résister à ces fatigues ; mais ses compagnons lui préparaient en secret une récompense pour tant de peines, et, le 31 mai, il devait éprouver une des plus grandes joies de sa vie.

Ce jour-là, à la fin du dîner, au moment où il allait quitter la table, Pencroff sentit une main s’appuyer sur son épaule.

C’était la main de Gédéon Spilett, lequel lui dit :

« Un instant, maître Pencroff, on ne s’en va pas ainsi ! Et le dessert que vous oubliez ?

— Merci, monsieur Spilett, répondit le marin, je retourne au travail.

— Eh bien, une tasse de café, mon ami ?

— Pas davantage.

— Une pipe, alors ? »

Pencroff s’était levé soudain, et sa bonne grosse figure pâlit, quand il vit le reporter qui lui présentait une pipe toute bourrée, et Harbert, une braise ardente.

Le marin voulut articuler une parole sans pouvoir y parvenir ; mais, saisissant la pipe, il la porta à ses lèvres ; puis, y appliquant la braise, il aspira coup sur coup cinq ou six gorgées.

Un nuage bleuâtre et parfumé se développa, et, des profondeurs de ce nuage, on entendit une voix délirante qui répétait :

« Du tabac ! Du vrai tabac !

— Oui, Pencroff, répondit Cyrus Smith, et même de l’excellent tabac !

— Oh ! divine providence ! Auteur sacré de toutes choses ! s’écria le marin. Il ne manque donc plus rien à notre île ! »

Et Pencroff fumait, fumait, fumait !

« Et qui a fait cette découverte ? demanda-t-il enfin. Vous, sans doute, Harbert ?

— Non, Pencroff, c’est M. Spilett.

— Monsieur Spilett ! s’écria le marin en serrant sur sa poitrine le reporter, qui n’avait jamais subi pareille étreinte.

— Ouf ! Pencroff, répondit Gédéon Spilett, en reprenant sa respiration, un instant compromise. Faites une part dans votre reconnaissance à Harbert qui a reconnu cette plante, à Cyrus qui l’a préparée, et à Nab qui a eu bien de la peine à nous garder le secret !

— Eh bien, mes amis, je vous revaudrai cela quelque jour ! répondit le marin. Maintenant, c’est à la vie, à la mort ! »