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l’île mystérieuse.

manière à former une ligne infranchissable. Top, ses formidables mâchoires ouvertes, précédait les colons, et il était suivi de Jup, armé d’un gourdin noueux qu’il brandissait comme une massue.

La nuit était extrêmement obscure. Ce n’était qu’à la lueur des décharges, dont chacune devait porter, qu’on apercevait les assaillants, qui devaient être au moins une centaine, et dont les yeux brillaient comme des braises.

« Il ne faut pas qu’ils passent ! s’écria Pencroff.

— Ils ne passeront pas ! » répondit l’ingénieur.

Mais s’ils ne passèrent pas, ce ne fut pas faute de l’avoir tenté. Les derniers rangs poussaient les premiers, et ce fut une lutte incessante à coups de revolver et à coups de hache. Bien des cadavres de culpeux devaient déjà joncher le sol, mais la bande ne semblait pas diminuer, et on eût dit qu’elle se renouvelait sans cesse par le ponceau de la grève.

Bientôt, les colons durent lutter corps à corps, et ils n’étaient pas sans avoir reçu quelques blessures, légères fort heureusement. Harbert avait, d’un coup de revolver, débarrassé Nab, sur le dos duquel un culpeux venait de s’abattre comme un chat-tigre. Top se battait avec une fureur véritable, sautant à la gorge des renards et les étranglant net. Jup, armé de son bâton, tapait comme un sourd, et c’était en vain qu’on voulait le faire rester en arrière. Doué, sans doute, d’une vue qui lui permettait de percer cette obscurité, il était toujours au plus fort du combat et poussait de temps en temps un sifflement aigu, qui était chez lui la marque d’une extrême jubilation. À un certain moment, il s’avança même si loin, qu’à la lueur d’un coup de revolver, on put le voir entouré de cinq ou six grands culpeux, auxquels il tenait tête avec un rare sang-froid.

Cependant la lutte devait finir à l’avantage des colons, mais après qu’ils eurent résisté deux grandes heures ! Les premières lueurs de l’aube, sans doute, déterminèrent la retraite des assaillants, qui détalèrent vers le nord, de manière à repasser le ponceau, que Nab courut relever immédiatement.

Quand le jour eut suffisamment éclairé le champ de bataille, les colons purent compter une cinquantaine de cadavres épars sur la grève.

« Et Jup ! s’écria Pencroff. Où est donc Jup ? »

Jup avait disparu. Son ami Nab l’appela, et, pour la première fois, Jup ne répondit pas à l’appel de son ami.

Chacun se mit en quête de Jup, tremblant de le compter parmi les morts. On déblaya la place des cadavres, qui tachaient la neige de leur sang, et Jup fut retrouvé au milieu d’un véritable monceau de culpeux dont les mâchoires