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l’île mystérieuse.

Grant. Si indigne que vous soyez du souvenir des hommes, les hommes se souviendront de vous. Je sais où vous êtes, Ayrton, et je sais où vous trouver. Je ne l’oublierai jamais ! »

« Et le Duncan, appareillant, disparut bientôt.

« On était au 18 mars 1855[1].

« Ayrton était seul, mais ni les munitions, ni les armes, ni les outils, ni les graines ne lui manquaient. À lui, le convict, à sa disposition était la maison construite par l’honnête capitaine Grant. Il n’avait qu’à se laisser vivre et à expier dans l’isolement les crimes qu’il avait commis.

« Messieurs, il se repentit, il eut honte de ses crimes et il fut bien malheureux ! Il se dit que si les hommes venaient le rechercher un jour sur cet îlot, il fallait qu’il fût digne de retourner parmi eux ! Comme il souffrit, le misérable ! Comme il travailla pour se refaire par le travail ! Comme il pria pour se régénérer par la prière !

« Pendant deux ans, trois ans, ce fut ainsi ; mais Ayrton, abattu par l’isolement, regardant toujours si quelque navire ne paraîtrait pas à l’horizon de son île, se demandant si le temps d’expiation était bientôt complet, souffrait comme on n’a jamais souffert ! Ah ! qu’elle est dure cette solitude, pour une âme que rongent les remords !

« Mais sans doute le ciel ne le trouvait pas assez puni, le malheureux, car il sentit peu à peu qu’il devenait un sauvage ! Il sentit peu à peu l’abrutissement le gagner ! Il ne peut vous dire si ce fut après deux ou quatre ans d’abandon, mais enfin, il devint le misérable que vous avez trouvé !

« Je n’ai pas besoin de vous dire, messieurs, que Ayrton ou Ben Joyce et moi, nous ne faisons qu’un ! »

Cyrus Smith et ses compagnons s’étaient levés à la fin de ce récit. Il est difficile de dire à quel point ils étaient émus ! Tant de misère, tant de douleurs et de désespoir étalés à nu devant eux !

« Ayrton, dit alors Cyrus Smith, vous avez été un grand criminel, mais le Ciel doit certainement trouver que vous avez expié vos crimes ! Il l’a prouvé en vous ramenant parmi vos semblables. Ayrton, vous êtes pardonné ! Et maintenant, voulez-vous être notre compagnon ? »

Ayrton s’était reculé.

  1. Les événements qui viennent d’être succinctement racontés sont tirés d’un ouvrage que quelques-uns de nos lecteurs ont sans doute lu et qui est intitulé Les Enfants du capitaine Grant. Ils remarqueront en cette occasion, ainsi que plus tard, une certaine discordance dans les dates ; mais plus tard aussi, ils comprendront pourquoi les dates véritables n’avaient pu être primitivement données. (Note de l’Éditeur.)