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Page:Jules Verne - L’Île mystérieuse.djvu/390

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l’île mystérieuse.

— Eh bien, après cela, répliqua le marin, je ne désespère plus de nous voir un jour rouler en chemin de fer ! »

On se mit donc à l’ouvrage, en commençant par le plus difficile, c’est-à-dire par la confection des fils, car si on eût échoué, il devenait inutile de fabriquer la pile et autres accessoires.

Le fer de l’île Lincoln, on le sait, était de qualité excellente, et, par conséquent, très-propre à se laisser étirer. Cyrus Smith commença par fabriquer une filière, c’est-à-dire une plaque d’acier, qui fut percée de trous coniques de divers calibres qui devaient amener successivement le fil au degré de ténuité voulue. Cette pièce d’acier, après avoir été trempée, « de tout son dur, » comme on dit en métallurgie, fut fixée d’une façon inébranlable sur un bâtis solidement enfoncé dans le sol, à quelques pieds seulement de la grande chute, dont l’ingénieur allait encore utiliser la force motrice.

En effet, là était le moulin à foulon, qui ne fonctionnait pas alors, mais dont l’arbre de couche, mû avec une extrême puissance, pouvait servir à étirer le fil, en l’enroulant autour de lui.

L’opération fut délicate et demanda beaucoup de soins. Le fer, préalablement préparé en longues et minces tiges, dont les extrémités avaient été amincies à la lime, ayant été introduit dans le grand calibre de la filière, fut étiré par l’arbre de couche, enroulé sur une longueur de vingt-cinq à trente pieds, puis déroulé et représenté successivement aux calibres de moindre diamètre ! Finalement, l’ingénieur obtint des fils longs de quarante à cinquante pieds, qu’il était facile de raccorder et de tendre sur cette distance de cinq milles qui séparait le corral de l’enceinte de Granite-house.

Il ne fallut que quelques jours pour mener à bien cette besogne, et même, dès que la machine eut été mise en train, Cyrus Smith laissa ses compagnons faire le métier de tréfileurs et s’occupa de fabriquer sa pile.

Il s’agissait, dans l’espèce, d’obtenir une pile à courant constant. On sait que les éléments des piles modernes se composent généralement de charbon de cornue, de zinc et de cuivre. Le cuivre manquait absolument à l’ingénieur, qui, malgré ses recherches, n’en avait pas trouvé trace dans l’île Lincoln, et il fallait s’en passer. Le charbon de cornue, c’est-à-dire ce dur graphyte qui se trouve dans les cornues des usines à gaz, après que la houille a été déshydrogénée, on eût pu le produire, mais il eût fallu installer des appareils spéciaux, ce qui aurait été une grosse besogne. Quant au zinc, on se souvient que la caisse trouvée à la pointe de l’Épave était doublée d’une enveloppe de ce métal, qui ne pouvait pas être mieux utilisée que dans cette circonstance.