Page:Jules Verne - L’Île mystérieuse.djvu/438

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
l’île mystérieuse.

« Voici, mes amis, dit alors l’ingénieur, les dispositions qu’il me paraît convenable de prendre, avant que ce brouillard soit complétement levé. Il nous dérobe aux yeux des pirates, et nous pourrons agir sans éveiller leur attention. Ce qu’il importe, surtout, de laisser croire aux convicts, c’est que les habitants de l’île sont nombreux et, par conséquent, capables de leur résister. Je vous propose donc de nous diviser en trois groupes qui se posteront, le premier aux Cheminées mêmes, le second à l’embouchure de la Mercy. Quant au troisième, je crois qu’il serait bon de le placer sur l’îlot, afin d’empêcher ou de retarder, au moins, toute tentative de débarquement. Nous avons à notre usage deux carabines et quatre fusils. Chacun de nous sera donc armé, et, comme nous sommes amplement fournis de poudre et de balles, nous n’épargnerons pas nos coups. Nous n’avons rien à craindre des fusils, ni même des canons du brick. Que pourraient-ils contre ces roches ? et, comme nous ne tirerons pas des fenêtres de Granite-house, les pirates n’auront pas l’idée d’envoyer là des obus qui pourraient causer d’irréparables dommages. Ce qui est à redouter, c’est la nécessité d’en venir aux mains, puisque les convicts ont le nombre pour eux. C’est donc à tout débarquement qu’il faut tenter de s’opposer, mais sans se découvrir. Donc, n’économisons pas les munitions. Tirons souvent, mais tirons juste. Chacun de nous a huit ou dix ennemis à tuer, et il faut qu’il les tue ! »

Cyrus Smith avait chiffré nettement la situation, tout en parlant de la voix la plus calme, comme s’il se fût agi de travaux à diriger et non d’une bataille à régler. Ses compagnons approuvèrent ces dispositions sans même prononcer une parole. Il ne s’agissait plus pour chacun que de prendre son poste avant que la brume se fût complétement dissipée.

Nab et Pencroff remontèrent aussitôt à Granite-house et en rapportèrent des munitions suffisantes. Gédéon Spilett et Ayrton, tous deux très-bons tireurs, furent armés des deux carabines de précision, qui portaient à près d’un mille de distance. Les quatre autres fusils furent répartis entre Cyrus Smith, Nab, Pencroff et Harbert.

Voici comment les postes furent composés.

Cyrus Smith et Harbert restèrent embusqués aux Cheminées, et ils commandaient ainsi la grève, au pied de Granite-house, sur un assez large rayon.

Gédéon Spilett et Nab allèrent se blottir au milieu des roches, à l’embouchure de la Mercy, — dont le pont ainsi que les ponceaux avaient été relevés, — de manière à empêcher tout passage en canot et même tout débarquement sur la rive opposée.

Quant à Ayrton et à Pencroff, ils poussèrent à l’eau la pirogue et se dispo-