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l’île mystérieuse.

Ainsi que dans tant d’autres conjonctures, les colons avaient fait appel à cette logique du simple bon sens qui les avait tant de fois servis, et encore une fois, grâce à leurs connaissances générales, ils avaient réussi ! Mais le moment ne viendrait-il pas où toute leur science serait mise en défaut ? Ils étaient seuls sur cette île. Or, les hommes se complètent par l’état de société, ils sont nécessaires les uns aux autres. Cyrus Smith le savait bien, et quelquefois il se demandait si quelque circonstance ne se produirait pas, qu’ils seraient impuissants à surmonter !

Il lui semblait, d’ailleurs, que ses compagnons et lui, jusque-là si heureux, fussent entrés dans une période néfaste. Depuis plus de deux ans et demi qu’ils s’étaient échappés de Richmond, on peut dire que tout avait été à leur gré. L’île leur avait abondamment fourni minéraux, végétaux, animaux, et si la nature les avait constamment comblés, leur science avait su tirer parti de ce qu’elle leur offrait. Le bien-être matériel de la colonie était pour ainsi dire complet. De plus, en de certaines circonstances, une influence inexplicable leur était venue en aide !… mais tout cela ne pouvait avoir qu’un temps !

Bref, Cyrus Smith croyait s’apercevoir que la chance semblait tourner contre eux.

En effet, le navire des convicts avait paru dans les eaux de l’île, et si ces pirates avaient été pour ainsi dire miraculeusement détruits, six d’entre eux, du moins, avaient échappé à la catastrophe. Ils avaient débarqué sur l’île, et les cinq qui survivaient y étaient à peu près insaisissables. Ayrton avait été, sans aucun doute, massacré par ces misérables, qui possédaient des armes à feu, et, au premier emploi qu’ils en avaient fait, Harbert était tombé, frappé presque mortellement. Étaient-ce donc là les premiers coups que la fortune contraire adressait aux colons ? Voilà ce que se demandait Cyrus Smith ! Voilà ce qu’il répétait souvent au reporter, et il leur semblait aussi que cette intervention si étrange, mais si efficace, qui les avait tant servis jusqu’alors, leur faisait maintenant défaut. Cet être mystérieux, quel qu’il fût, dont ils ne pouvaient nier l’existence, avait-il donc abandonné l’île ? Avait-il succombé à son tour ?

À ces questions, aucune réponse n’était possible. Mais qu’on ne s’imagine pas que Cyrus Smith et son compagnon, parce qu’ils causaient de ces choses, fussent gens à désespérer ! Loin de là. Ils regardaient la situation en face, ils analysaient les chances, ils se préparaient à tout événement, ils se posaient fermes et droits devant l’avenir, et si l’adversité devait enfin les frapper, elle trouverait en eux des hommes préparés à la combattre.