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l’île mystérieuse.

veste d’Ayrton, morceau de ce feutre uniquement fabriqué à l’atelier de Granite-house.

« Vous le voyez, Pencroff, fit observer Cyrus Smith, il y a eu résistance de la part du malheureux Ayrton. Les convicts l’ont entraîné malgré lui ! Doutez-vous encore de son honnêteté ?

— Non, monsieur Cyrus, répondit le marin, et voilà longtemps que je suis revenu de ma défiance d’un instant ! Mais il y a, ce me semble, une conséquence à tirer de ce fait.

— Laquelle ? demanda le reporter.

— C’est qu’Ayrton n’a pas été tué au corral ! C’est qu’on l’a entraîné vivant, puisqu’il a résisté ! Or, peut-être vit-il encore !

— Peut-être, en effet, » répondit l’ingénieur, qui demeura pensif.

Il y avait là un espoir, auquel pouvaient se reprendre les compagnons d’Ayrton. En effet, ils avaient dû croire que, surpris au corral, Ayrton était tombé sous quelque balle, comme était tombé Harbert. Mais, si les convicts ne l’avaient pas tué tout d’abord, s’ils l’avaient emmené vivant dans quelque autre partie de l’île, ne pouvait-on admettre qu’il fût encore leur prisonnier ? Peut-être même l’un d’eux avait-il retrouvé dans Ayrton un ancien compagnon d’Australie, le Ben Joyce, le chef des convicts évadés ? Et qui sait s’ils n’avaient pas conçu l’espoir impossible de ramener Ayrton à eux ! Il leur eût été si utile, s’ils avaient pu en faire un traître !…

Cet incident fut donc favorablement interprété au corral, et il ne sembla plus impossible qu’on retrouvât Ayrton. De son côté, s’il n’était que prisonnier, Ayrton ferait tout, sans doute, pour échapper aux mains de ces bandits, et ce serait un puissant auxiliaire pour les colons !

« En tout cas, fit observer Gédéon Spilett, si, par bonheur, Ayrton parvient à se sauver, c’est à Granite-house qu’il ira directement, car il ne connaît pas la tentative d’assassinat dont Harbert a été victime, et, par conséquent, il ne peut croire que nous soyons emprisonnés au corral.

— Ah ! Je voudrais qu’il y fût, à Granite-house ! s’écria Pencroff, et que nous y fussions aussi ! Car enfin, si les coquins ne peuvent rien tenter contre notre demeure, du moins peuvent-ils saccager le plateau, nos plantations, notre basse-cour ! »

Pencroff était devenu un vrai fermier, attaché de cœur à ses récoltes. Mais il faut dire qu’Harbert était plus que tous impatient de retourner à Granite-house, car il savait combien la présence des colons y était nécessaire. Et c’était lui qui les retenait au corral ! Aussi cette idée unique occupait-elle son esprit : quitter