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l’île mystérieuse.

la fièvre ne reparut pas dans la nuit, et elle ne revint pas davantage le jour suivant.

Pencroff reprit quelque espoir. Gédéon Spilett ne disait rien. Il pouvait se faire que les intermittences ne fussent pas quotidiennes, que la fièvre fût tierce, en un mot, et qu’elle revînt le lendemain. Aussi, ce lendemain, l’attendit-on avec la plus vive anxiété.

On pouvait remarquer, en outre, que, pendant la période apyrexique, Harbert demeurait comme brisé, ayant la tête lourde et facile aux étourdissements. Autre symptôme qui effraya au dernier point le reporter : le foie d’Harbert commençait à se congestionner, et bientôt un délire plus intense démontra que son cerveau se prenait aussi.

Gédéon Spilett fut atterré devant cette nouvelle complication. Il emmena l’ingénieur à part.

« C’est une fièvre pernicieuse ! Lui dit-il.

— Une fièvre pernicieuse ! s’écria Cyrus Smith. Vous vous trompez, Spilett. Une fièvre pernicieuse ne se déclare pas spontanément. Il faut en avoir eu le germe !…

— Je ne me trompe pas, répondit le reporter. Harbert aura sans doute contracté ce germe dans les marais de l’île, et cela suffit. Il a déjà éprouvé un premier accès. Si un second accès survient, et si nous ne parvenons pas à empêcher le troisième… il est perdu !…

— Mais cette écorce de saule ?…

— Elle est insuffisante, répondit le reporter, et un troisième accès de fièvre pernicieuse qu’on ne coupe pas au moyen de la quinine est toujours mortel ! »

Heureusement, Pencroff n’avait rien entendu de cette conversation. Il fût devenu fou.

On comprend dans quelles inquiétudes furent l’ingénieur et le reporter pendant cette journée du 7 décembre et pendant la nuit qui la suivit.

Vers le milieu de la journée, le second accès se produisit. La crise fut terrible. Harbert se sentait perdu ! Il tendait ses bras vers Cyrus Smith, vers Spilett, vers Pencroff ! Il ne voulait pas mourir !… Cette scène fut déchirante. Il fallut éloigner Pencroff.

L’accès dura cinq heures. Il était évident qu’Harbert n’en supporterait pas un troisième.

La nuit fut affreuse. Dans son délire, Harbert disait des choses qui fendaient le cœur de ses compagnons ! Il divaguait, il luttait contre les convicts, il appelait Ayrton ! Il suppliait cet être mystérieux, ce protecteur, disparu maintenant,