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ÉTUDE SUR JULIEN.


Le sixième jour de novembre, l’an 355 de l’ère chrétienne, au moment où, sur la grande place de Milan, l’empereur Constance, fils de Constantin, couvrait son cousin Julien de la pourpre impériale, aux cris d’allégresse des légions, qui faisaient résonner avec fracas leurs boucliers sur leurs genoux, le nouveau César, à peine âgé de vingt-quatre ans, grave et le front soucieux au milieu de cette joie bruyante, et songeant sans doute au meurtre récent de son frère Gallus, récitait tout bas ce vers d’Homère[1] :

La pourpre de la mort l’étreint d’un pli fatal !

Quelques semaines après, quand Julien, nommé par son oncle adoptif gouverneur des Gaules, entrait solennellement à Vienne, entouré d’une foule immense qui le saluait avec enthousiasme des cris de prince clément, de César fortuné, une vieille femme, privée de la vue, s’étant prise à demander à ceux qui la guidaient : « De quel prince célèbre-t-on l’entrée ? — De Julien César. — Ah ! s’écria-t-elle, celui-là rétablira les temples des dieux ! » La destinée de Julien semble se résumer tout entière dans l’allusion suggérée à son esprit par une clairvoyante ironie, et dans le cri mensonger de victoire échappé aux lèvres d’une pauvre aveugle. En effet, il ne devait revêtir la pourpre que pour mourir avant l’âge ; il ne devait essayer de relever les temples païens que pour hâter le triomphe du christianisme et la défaite irrévocable des dieux. Aussi sa vie et ses écrits nous offrent-ils le spectacle d’une lutte incessante et stérile, où la trempe d’une âme énergique, passionnée pour la gloire et pour le bien, les qualités éminentes d’un esprit vaste, souple, varié, servi par une mémoire prodigieuse et fécondé par le travail et par la méditation, ne peuvent rien contre la loi fatale des

  1. Iliade, V, 80. Mort de Dolopion, prêtre du Scamandre, tué par Eurypile. L’allusion roule sur l’épithète πορφύρεος, couleur de pourpre ou de sang, donnée par Homère au manteau de la mort, et Julien en fait un rapprochement avec le manteau impérial dont il vient d’être revêtu.