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RICHARD WAGNER

chaste, timide et respectueux, qui n’était rien moins que tout cela. Mais voici qui nous touche davantage et qui va bien surprendre nos lecteurs, car les biographes et traducteurs de Mozart l’ont soigneusement caché jusqu’à ce jour.

Plusieurs de ses lettres, écrites de Paris, renferment quelque marque de mépris, quelque injure à notre adresse, — et voici les premières dans sa lettre du 9 juillet 1778 : il lui suffit de quelques lignes pour nous décocher trois lardons. Après avoir parlé de son ballet des Petits Riens, dont il a seulement, dit-il, composé six morceaux sur douze, le reste n’étant, d’après lui, qu’un arrangement de « misérables airs français », il arrive à dire : « Le maître de chapelle Bach sera bientôt ici, et je crois qu’il vient en vue d’écrire un opéra. Ces Français sont et seront toujours des ânes ; ils sont incapables de produire et force leur est de recourir aux étrangers. » Le compliment vaut son prix, surtout venant d’un jeune homme dont l’orgueil souffrait de ne pas voir les scènes françaises lui faire la place assez large.

Près d’un mois plus tard, Mozart écrivait à son père, en date du 3i juillet : « …Il n’y a pas de milieu : il me faut écrire un grand opéra ou n’en écrire aucun. Si je n’en compose qu’un petit, mon bénéfice sera insignifiant, car en ce pays tout est taxé, sans compter que si l’opéra n’a pas la fortune de plaire à ces nigauds de Français, c’est une affaire finie ; je n’aurais plus de commandes, j’en retirerais peu et ma réputation en souffrirait. Que si je compose un grand opéra, je gagnerai plus d’argent, je serai dans mon genre spécial et j’aurai plus de chances de succès, parce qu’un grand ouvrage offre plus d’occasions d’enlever les applaudissements. Je vous garantis que je n’hésiterai pas un moment si j’obtiens la commande d’un ouvrage. Le diable a forgé cette langue, c’est vrai, et je comprends trop bien les difficultés qu’elle a présentées à tous les compositeurs ; mais, malgré tout, je me sens en état de les vaincre aussi bien qu’eux. Au contraire, quand je me figure — et cela arrive souvent — que mon opéra ira bien, alors je me sens tout feu, tout mon être frémit et je brûle d’apprendre aux Français à connaître les Allemands, à les estimer et à les craindre. D’où vient donc que jamais Français n’est chargé de faire un opéra ? Pourquoi faut-il toujours recourir à des étrangers ? Le plus grand obstacle pour moi proviendrait des chanteurs. Mais ma résolution est prise : je ne chercherai aucune querelle, seulement si l’on me pousse à bout, je saurai bien me défendre. Je souhaite, d’ailleurs, de m’en tirer sans duel, car je n’ai aucun goût à ferrailler avec des nains. »

Mozart, qui avait très à cœur cette question pécuniaire, y revient encore dans sa lettre du 11 septembre, celle-là même où il arrange si