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Vingt-deux ans auparavant, alors qu’Hugues d’Aureilhan était un élégant diplomate momentanément en résidence à Paris, il avait épousé par irrésistible inclination la fille unique d’un peintre de grand talent.

Ce mariage, d’ailleurs, apparaissait convenable à tous les points de vue.

Mlle Suzanne Maresquel était physiquement la créature délicieuse qu’Huguette devait rappeler un jour, et la beauté morale, chez elle, ne le cédait en rien à celle de l’enveloppe.

À défaut de la particule, ancienne mais obscure, de son fiancé, elle portait un de ces noms respectés pour leur noblesse personnelle, et la dot de cent cinquante mille francs que lui constituait son père égalait, ou à peu près, la fortune d’Hugues d’Aureilhan, lequel ne possédait que les revenus de son domaine patrimonial, revenus absorbés en grande partie par le coûteux entretien du château et de ses dépendances.

Peu après le mariage, le jeune couple, dut aller habiter Rome, où M. d’Aureilhan était nommé secrétaire d’ambassade.

Et dix-huit mois plus tard naissait la petite Huguette, joie vivante et gazouillante dont s’enchanta la félicité de ces deux êtres à qui l’avenir semblait ne réserver que des sourires.

Une ombre sinistre obscurcit bientôt ce bonheur. Suzanne avait toujours été délicate ; elle demeura fragile à l’excès de l’épreuve de sa maturité.

En cette disposition maladive, elle contracta au cours de quelque imprudente promenade les fièvres qui soufflent dans la campagne romaine leur haleine de mort, et ne fit plus que languir.

Elle était condamnée.

Désespéré, Hugues se hâta de donner sa démission, afin de soustraire la jeune femme à l’atmosphère fatale qui, chaque jour un peu plus, épuisait cette vie si chère.

Il le fit sans regrets. Il n’avait embrassé « la carrière » que par déférence pour la volonté paternelle, et se sachant, avec son naturel paisible et doux, plutôt enclin à goûter le charme d’une retraite aimée que la pompeuse mondanité des cours et les complications diplomatiques, il revenait à la demeure ancestrale, soulevé, malgré tout, du tremblant espoir que l’air de son Armagnac, saturé des puissants arômes des proches Pyrénées, régénérerait les forces défaillantes de l’adorée créature qui s’en allait…

Espoir cruellement déçu.

En dépit de la magnificence de l’horizon, la Parisienne qu’était Suzanne s’étiola d’ennui dans l’antique logis aux murailles sévères.

Trop faible pour être transportée dans son cadre initial, où elle n’eût, du reste, retrouvé qu’un semblant de vie, elle déclina lentement et s’éteignit quand Huguette n’avait pas encore six ans.

Mais, fauchée en pleine possession de son intelligence lucide et sereine, elle avait eu le courage de prendre de prévoyantes dispositions.

Elle sentait, lisant dans l’avenir avec la surnaturelle prescience des mourants, qu’Hugues se remarierait, pour peu qu’il rencontrât une femme capable d’exercer une domination sur sa nature tendre et faible, et elle voulut éviter à l’orpheline qu’elle laissait la tutelle indifférente ou hostile d’une étrangère.

Pour obéir à ses instructions suprêmes, et bien qu’il eût le cœur déchiré de se séparer de l’adorable enfance d’Huguette, le veuf remit la mignonne à son grand-père, le peintre Bertrand Maresquel, qui, se conformant à son tour aux dernières volontés de la douce morte, confia l’instruction de