Page:Jérusalémy - Le Festin du jour de l’an à Tahiti.djvu/9

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fours sont alors garnis ; la cuisson, une cuisson parfaite, se fait en quelques heures.

Des hommes robustes, à cheval sur des espèces de trépieds ou de chevalets, dont un bout saillant est terminé par une lame de fer recourbée comme un tranchet, râpent la chair de vieux cocos desséchés, laquelle, infusée dans de l’eau de mer, doit tenir lieu de sauce générale pour les viandes et les poissons ; d’autres triturent dans la partie concave de petites pirogues des bananes mûres, des « féi » rôtis, ou des « taro » bouillis avec de la farine de manioc ; le tout arrosé d’eau de coco forme une pâte molle et gluante. Roulée dans des feuilles de « maïoré » et cuite pendant plusieurs heures au four canak, cette pâte se transforme en une sorte de gélatine opaque et épaisse, grise, jaunâtre ou violette, suivant le végétal qui a servi de base à sa composition ; c’est le plat, ou plutôt le gâteau national, le seul que connaissent les Tahitiens, et dont ils sont très-friands.

Les autorités du lieu, qui ont eu l’honneur de manger à la table de la reine un jour de gala, ou qui, invitées aux soirées du « tomana » (commandant), ont pu étudier à loisir les raffinements de la cuisine européenne, s’ingénient à confectionner de leurs propres mains quelques-uns des plats dont ils comptent orner leurs tables à la façon des « papâa ». Pour faire bien les choses, ils se sont endettés chez les marchands de la ville (ce qui est le moindre de leurs soucis) pour se procurer des couverts, des assiettes, des verres et tous les ustensiles nécessaires pour dresser une table à l’européenne ; le plus grand nombre n’a pas reculé devant l’énorme fatigue de transporter à dos d’homme ou à coups de pagaie les chaises et les bancs qu’ils ne possédaient point, et qu’au prix de mille démarches et sollicitations ils sont parvenus à emprunter à des blancs de leur connaissance.

Partout, enfin, des feux multiples, des monceaux de victuailles, de grands nettoyages, un remue-ménage universel ; partout les allées et les venues qui caractérisent dans tous les pays les approches d’une grande solennité ; mais partout aussi l’entrain, la gaieté, les plaisanteries au gros sel et les