Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/70

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la croix de bois, et qui s’informe si c’est bien son client qui passe, avec trop de mots dits trop haut, on voit, du fiacre, Mme  Laforgue, riant d’un gloussement déchirant et sans pleurs, et, sur cet effondrement de deux vies, personne de nous ne pensait à de la rhétorique tumulaire.

La mort de Laforgue était, pour les lettres, irréparable ; il emportait la grâce de notre mouvement, une nuance d’esprit varié, humain et philosophique ; une place est demeurée vide parmi nous. C’était le pauvre Yorik qui avait eu un si joli sourire, le pauvre Yorik qui avait professé la sagesse à Wittemberg, et en avait fait la comparaison la plus sérieuse avec la folie ; c’était un musicien du grand tout, un passereau tout transpercé d’infini qui s’en allait, et qu’on blotissait dans une glaise froide et collante — la plus pauvre mort de grand artiste, et le destin y eut une part hostile, qui ne laisse vivre les plus délicats que s’ils paient à la société la rançon d’un emploi qui les rend semblables à tous, connaissant le bien et le mal à la façon d’un comptable, et ne leur jette pas, des mille fenêtres indifférentes à l’art, de la presse, un sou pour subsister pauvrement et fièrement, en restant des artistes — à moins qu’une robustesse sans tare morbide ne leur permette de franchir, en les descendant et en les remontant ensuite, tous les cycles de l’enfer social.

La Revue Indépendante qu’avait dirigée en 1884 Félix Fenéon et M. Chevrier dans un sens très intelligemment naturaliste, avait laissé de brillants souvenirs, et des personnes songeaient à la ressusciter. M. Du jardin, écrivain des plus médiocres et qui pensait faire une af-