Page:Kann - Journal d'un correspondant de guerre en Extrême-Orient.djvu/82

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européennes s’accommodent mal de cette posture recroquevillée, et bientôt, au grand scandale des petites nesan, les servantes du lieu, s’allongent dan tous les sens au gré de la fantaisie de leurs propriétaires. Voici le diner. Qui pourrait croire que ce joli plateau de laque rouge avec sa multitude de plats minuscules et les petits bâtons blancs allongés symétriquement, contient tant de pièges où le prestige des Occidentaux achèvera de sombrer ?

Pendant une heure entière leurs doigts se cramponnent, se tournent, se raidissent autour des baguettes de bois sans réussir à porter à la bouche la dixième partie des mets qui lui sont destinés. Chacun voit avec plaisir entrer les petites guéchas dont l’arrivée annonce la fin du festin. Les libations de saké ont banni toute contrainte, les hôtes s’étendent nonchalamment dans leurs vêtements flottants. Seul le commandant allemand, sanglé dans son uniforme, sévère comme s’il était de quart sur la passerelle d’un vaisseau de guerre, ne se mêle pas à la gaieté générale, et contemple sans sourciller un de ses collègues sur les genoux duquel se prélassent deux jeunes chanteuses. Le représentant d’une puissance du Nord, abandonnant toute la gravité de sa race, cherche à imiter, au son du chamisen, les mouvements gracieux et maniérés des jolies mousmés…