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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


d’évaluer les choses, au moins dans cette circonstance, il ne croie pas devoir sacrifier la jouissance du moment présent à l’espoir, peut-être vain, du bonheur que donne la santé. Mais, quand même ce penchant, qui porte tous les hommes à chercher leur bonheur, ne déterminerait pas su volonté, quand même la santé ne serait pas, pour lui du moins, une chose dont il fut si nécessaire de tenir compte dans ses calculs, il resterait encore, dans ce cas, comme dans tous les autres, une loi, celle qui commande de travailler à son bonheur, non par inclination, mais par devoir, et c’est par là seulement que sa conduite peut avoir une vraie valeur murale.

C’est ainsi sans doute qu’il faut entendre les passages de l’Écriture, où il est ordonné d’aimer son prochain et même son ennemi. En effet, l’amour, comme inclination, ne se commande pas, mais faire le bien par devoir, alors même qu’aucune inclination ne nous y pousse, ou qu’une répugnance naturelle et insurmontable nous en éloigne, c’est là un amour pratique et non un amour pathologique, un amour qui réside dans la volonté et non dans un penchant de la sensibilité, dans les principes qui doivent diriger la conduite et non dans celui d’une tendre sympathie, et cet amour est le seul qui puisse être ordonné.

Ma seconde proposition *[1] est qu’une action faite par devoir ne tire pas sa valeur morale du but qu’elle

  1. * La première proposition est celle qui vient d’être développée, à savoir qu’une action, pour avoir une valeur morale ne doit pas être seulement conforme au devoir, mais avoir été faite par devoir et non par inclination ou par intérêt.
    J. B.