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INTRODUCTION


nécessité de l’autre élément du souverain bien, à savoir du bonheur. La loi morale commandant par des princi]>cs absolument indépendants des lois de la nature, il n’y a aucune raison pour, que la volonté de faire mon devoir me rende heureux en ce inonde. Le bonheur ici-bas dépend en effet de toutes sortes de conditions cl de causes physiques, sociales, psychologiques qui n’ont rien de commun nvec la loi du devoir et pourtant il faut que la volonté sainte, bien qu’elle ne |K>ursuive pas le bonheur, soit heureuse. Il y a donc, en dehors de la nature, une cause suprême capable d’établir tôt ou tard cette harmonie de la moralité el du bonheur exigée par la raison pratique. Et celte cause esl d’abord un être omniscient, car il doit pénétrer au plus profond do nos cœurs pour apprécier justement la valeur morule de notre conduite ; cet être esl encore omnipotent, afin qu’il puisse attribuer à toutes les personnes raisonnables la part de bonheur qui leur est due ; enfin il est souverainement bon et souverainement juste, afin qu’il veuille récompenser cl punir chacun selon se » œuvres. En un mot cet être contient en lui toute perfection ; il est donc Dieu*.

C’est ainsi que l’impératif catégorique, en nous prescrivant de réaliser le souverain bien, nous imjwse la nécessité morale d’admettre l’immortalité de l’âme el l’existence de Dieu. Mais nous ne devons pas,.enser qu’une démonstration de ce genre puisse nous donner une connaissance de la vie à venir et de l’Être parfait. Nous n’avons aucun moyen de nous figurer cette vie prolongée indéfiniment, pendant laquelle notre volonté s’épurera toujours davantage ; nous n’avons aucune représentation de ces attributs de science, de puissance, de bonté que nous prêtons à Dieu. L’analogie par laquelle nous essayons de concevoir la vie éternelle d’après la vie temporelle et la perfection absolue de Dieu, d’après la perfection relative d’un souverain d’ici-bas, est éminemment trompeuse. L’idée de l’immortalité et l’idée de Dieu, telles que nous pouvons les former dans les conditions de notre connaissance actuelle, sont encore des idées toutes subjectives ; mais nous pouvons, nous devons même croire qu’elles correspondent à des réalités d’ailleurs

i. Voir Critique de la liaison pratique. Pari. 1, L. H, eh. il, v. Barni, p. 332, Picavei, p. 2-25 et Critique du jugement : Méthodologie du jugement téléologique, § LXXXV.