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PREMIÈRE SECTION


devoir, par conséquent honorable, mérite nos éloges et nos encouragements, mais non pas notre estime. Car il manque a.la maxime de l’action le caractère moral qu’elle no peut revêtir que si l’on agit non par inclination,’mais par devoir. Mais supposons que l’âme do ce philanthrope soit voilée par un chagrin personnel, qui éteigne en lui toute compassion pour le sort des autres, supposons qu’ayant encore le pouvoir de faire du bien aux malheureux, sans être touché par leurs souffrances, parce que les siennes l’occupent tout entier, il s’arrache à cetto mortelle insensibilité, sans y être poussé par aucune tendance, et se montre charitable non par inclination, mais uniquement par devoir, alors seulement sa maxime aura toute sa pureté, toute sa valeur morale. Bien plus, si un homme, n’ayant reçu de la nature qu’un faible pouvoir de sympathie (mais honnête d’ailleurs), avait un tempérament froid et indifférent aux souffrances des autres, peut-être parce que, sachant opposer aux siennes une patience et une force de caractère toutes particulières, il supposerait chez les autres ou même exigerait d’eux les mêmes qualités ; si enfin la nature n’avait pas précisément donné à cet homme (qui ne serait peut-être pas à vrai dire son pire ouvrage) un cœur de philanthrope, ne trouverait-il pas en lui-même l’occasion d’acquérir une valeur morale bien plus haule que s’il avait un tempérament bienfaisant. Je le crois et c’est lorsqu’il ferait le bien, non par inclination mais par devoir, que commencerait à se manifester cette valeur du caractère, vraiment morale et la plus haute sans comparaison *.

1. Kant dit dans la Critique de ta Raison pratique (Du concept du souverain bien, trad. Barni, p. 322 ; Pkavet p. 316) : « Ce sentiment même de compassion et de tendre sympathie, quand il précède la considération du devoir et qu’il

sert de principe de détermination, est a charge aux personnes bien intentionnées ; il porte le trouble dans leurs calmes maximes el leur fait souhaiter d’être délivrées de ce joug et de n’être soumises qu’à la loi-de la raison. »