Page:Kant-Traité de pédagogie (trad. Barni), 1886.pdf/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
PRÉFACE.


rents éviteront en abdiquant ; et les maîtres, pourvu qu’ils se défendent toute préférence comme un manquement a leur devoir professionnel, auront plus de chance de représenter dignement la règle abstraite et impersonnelle. Ajoutons qu’au contact de petites volontés égales et rivales, les angles de chaque volonté s’useront et se poliront. « Un arbre qui pousse isolé au milieu d’un champ perd sa rectitude en croissant et étend ses branches au loin ; au contraire, celui qui croît au milieu d’une forêt se conserve droit, à cause de la résistance que lui opposent les arbres voisins, et il cherche au-dessus de lui l’air et le soleil. » Aux grands qui ont un précepteur pour eux seuls, et un précepteur qui est un serviteur, manquera ce sentiment de la limitation d’une liberté par une autre qui est le complément du sentiment même de la liberté. Celui-là même leur fera défaut ; car il naît de la contrariété et du besoin, et lorsque livrés à nos seules ressources nous apprenons à les connaitre. L’école offre cette ressource aux jeunes âmes, et, mettant en contact, parfois en conflit, les individualités, elle donne du même coup à chacune la conscience d’elle-même et le respect des autres. Elle nous apprend, sinon toute la moralité, du moins une de ses formes inférieures, mais indispensables, la sociabilité ; et nous initiant à la vie en commun, elle nous initie à ce que Kant appelle la plus douce des jouissances de la vie. Comme entre élèves, enfin, le mérite seul fait les rangs, l’école sera une école de justice sociale, véritable image de la vie civique, dit Kant ; — d’autres diraient modèle plutôt qu’image. — Ce sera donc aimer les enfants pour eux que de renoncer au charme de leur commerce, et à ce continuel échange de tendresses que l’on prendrait à tort pour une éducation. L’éducation est chose sévère et qui doit se défier du sentiment.

Cependant nous nous demanderons ici s’il ne doit pas y avoir une mesure à cette défiance ? L’attitude des parents, telle qu’elle résulte des pages qui précèdent, a quelque