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L'ÉDUCATION MORALE.


dissoutes avant de naître. Cette absence de caractère fait d’un homme un objet de défiance non seulement pour les autres, mais pour lui-même. Il ne sait jamais ce qu’il fera le lendemain, il en vient à douter de sa liberté qu’il a abdiquée, il s’abandonne, il cesse de s’appartenir, et avec la possession de soi-même disparaît en lui jusqu’à la possibilité de la vertu. Au contraire, si la rectitude de la volonté contribue à en faire la sûreté, cette sûreté en protège à son tour la rectitude. Et l’une et l’autre, nées du sentiment de la dignité, le confirment.

Qu’on ne dise pas ici que Kant exagère la dignité enfantine, et que sa vertu, dont on peut douter que l’homme l’atteigne jamais, ne peut même être comprise de l’enfant. Il lui a suffi de tracer le chemin dans lequel il faut entrer, et encore s’adresse-t-il à l’éducateur plutôt qu’à l’élève. De celui-ci il ne demande que ce que son âge comporte. On pourrait, avec tout ce que nous avons déjà dit, dessiner un portrait de l’enfant selon Kant. Ajoutons quelques traits : cet enfant ne sera pas un sage, ce ne sera pas un pédant, et il ne parlera pas d’un ton entendu de ce qui n’est pas de sa compétence d’enfant ; il ne fera pas l’homme. Ce qu’on appelle un enfant précoce est un petit singe qui répète sottement ce qu’il est incapable de penser par lui~même. De ces prétendus prodiges on ne fait rien plus tard. Quoi de plus ridicule aussi que ces petits maîtres en bas âge, habillés à la mode, frisés, portant des bagues et des tabatières ? « La parure ne convient pas à l’enfant » ; et sans notre exemple il n’y penserait point. Qu’il soit donc un peu ce que la nature l’a fait. Qu’il aille ses petits yeux ouverts à la lumiêre et à la joie. Qu’il joue avec ceux de son âge, et qu’avec de plus grands que lui il ait une réserve qui ne soit pas encore de la civilité, une aisance qui ne soit pas de la présomption.

Kant pousse la crainte d’anticiper sur l’heure de la raison jusqu’à se demander s’il faut enseigner aux enfants le nom de Dieu. Ne serait-il pas plus logique de laisser la pensée


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