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ANALYSE CRITIQUE


de l’exiger d’une autre : ou que ce soit pour moi un devoir de droit de la lui procurer ; je puis, en la lui refusant, manquer de bienfaisance, mais sans violer le droit. Le rapport exprimé par l’idée du droit n’est donc pas celui de ma liberté au désir ou au besoin d’autrui, comme quand il s’agit simplement de la bienfaisance ; c’est un rapport entre la liberté de chacun et celle de tous les autres. 3° Dans ce rapport réciproque, il n’y a pas lieu de considérer le but particulier que chacun peut se proposer dans l’usage qu’il fait de sa liberté ; toute la question est de savoir si cet usage n’a rien de contraire à la liberté même, en tant qu’elle est réglée par une loi générale, laquelle consiste justement dans l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous les autres. Par exemple, je n’ai pas à m’inquiéter, au point de vue du droit, si l’individu qui m’achète de la marchandise pour son propre commerce y trouvera ou non son avantage ; il suffit que le marché que je conclus avec lui ou que le rapport de nos deux libertés soit tel que l’exige l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous. C’est là ce que Kant exprime en disant qu’il faut ici faire abstraction de toute matière de la volonté, et n’envisager que la forme du rapport des deux libres arbitres, pour voir si l’action de l’un peut se concilier avec la liberté de l’autre, suivant une loi générale. 11 arrive ainsi à cette définition : « Le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec celle de tous. »

Principe général du droit.

De là ce principe général 1[1], que toute action telle qu’elle permet à la liberté de chacun de"s’accorder avec celle de tous, est conforme au droit ou est juste. Au contraire toute action qui ne peut se concilier avec la liberté générale porte atteinte au droit ou est injuste. Quand donc j’agis de telle sorte que ma conduite ne trouble en rien l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous, elle est conforme au droit ou juste ; celui qui m’y fait obstacle porte atteinte à mon droit, ou commet une injustice à mon égard : sa conduite ne peut s’accorder avec le principe de la liberté générale. Telle est donc la règle fondamentale du droit : « Agis extérieurement de telle sorte que l’usage de ta liberté puisse

  1. 1 P. 44.