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ANALYSE CRITIQUE


Une autre définition est donc nécessaire. Cette seconde définition, qu’il considère comme une définition de chose (1)[1], Kant l’énonce ainsi : « Le mien extérieur est celui dont on ne peut me ravir l’usage sans me léser, encore que je n’en sois pas en possession (que je ne sois pas le détenteur de l’objet). » Cette définition nous renvoie à l’idée d’une possession distincte de la possession physique ; car, puisqu’elle nous présente le mien extérieur comme indépendant du fait de la possession physique, et que, d’un autre côté, je ne puis me trouver lésé par l’usage qu’un autre ferait d’un certain objet sans mon consentement, et par conséquent appeler cet objet mien, si je ne le possède de quelque façon, il suit qu’il faut admettre une espèce de possession distincte de la possession physique. Cette nouvelle espèce de possession, Kant la désigne sous le nom de possession intelligible (possessio noumenon), et il appelle possession phénoménale (possessio phoenomenon) (2)[2] la possession physique ou la détention.

La question de la possibilité du mien et du tien extérieurs n’est pas encore résolue. On a ramené l’idée du mien et du tien extérieurs à celle d’une possession purement juridique ; mais comment cette possession elle-même est-elle possible ? Cette question à son tour est ramenée à celle-ci : Comment une proposition de droit à priori et synthétique est-elle possible ?

Déduction.

Toutes les propositions de droit sont des propositions à priori, car elles sont des lois de la raison. Mais toutes ne sont

  1. (1) On voit aussi par là en quel sens il entend la distinction reconnue par tous les logiciens, mais d’ordinaire mal éclaircie, entre la définition de nom ou de mot et la définition de chose. Cf. sur ce point le Manuel de philosophie de Matthiœ ; trad. Poret, p. 115-116.
  2. (2) Il a soin d’ajouter qu’il ne prend pas ici le mot phénoménal dans le sens que lui donnait la critique de la raison pure, lorsqu’il s’agissait de désigner les choses telles qu’elles nous apparaissent, par opposition aux choses telles qu’elles sont en soi. 11 applique maintenant ce mot aux objets comme à des choses réelles ; car la question n’est plus de savoir comment les choses nous sont données ou connues et quelle est la valeur objective de la connaissance que nous en avons. De quelque façon qu’on résolve cette question spéculative, l’idée rationnelle et pratique du droit n’en a pas moins la même valeur et les mêmes effets. Il n’oppose donc l’expression de possession phénoménale à celle de possession intelligible que pour mieux distinguer par là de la possession qui est purement physique celle qui a un caractère juridique.