Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/344

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cuse un homme qui est mort d’un crime qui l’eût rendu infâme ou seulement méprisable pendant sa vie, quiconque est capable de prouver que cette accusation est sciemment fausse et mensongère, peut dénoncer publiquement comme calomniateur celui qui l’a portée, et le déshonorer lui-même. Or c’est ce qu’il ne pourrait faire, s’il ne supposait à juste titre que le mort a été par là offensé, quoiqu’il soit mort, et que par cette apologie satisfaction lui a été donnée, quoiqu’il n’existe plus[Note de l’auteur 1]. Il n’a même pas besoin de prouver le droit qu’il s’arroge de prendre le rôle de défenseur à l’égard d’un mort ; car ce droit, tout homme se l’attribue inévitablement, non-seulement comme faisant partie des devoirs de vertu (au point de vue de l’Éthique), mais même comme appartenant au droit de l’humanité en général. Et il n’est pas nécessaire que cette souillure faite à la mémoire du mort attire quel-

  1. Que l’on ne conclue pas superstitieusement de là au pressentiment d’une vie future et à des rapports invisibles avec les âmes séparées des corps, car il n’est ici question d’autre chose que du rapport purement moral et juridique que l’on conçoit entre les hommes, même dans cette vie, en faisant logiquement abstraction de tout ce qu’il y a en eux de physique (de ce qui concerne leur existence dans l’espace et le temps), mais sans les dépouiller de cette nature et sans en faire de purs esprits capables de sentir les outrages de leur calomniateurs. — Celui qui, cent ans après moi, répandra quelque calomnie contre moi, m’offense dès à présent ; car, sous le rapport du droit pur, qui est tout à fait intellectuel, il faut faire abstraction de toutes les conditions physiques (du temps), et l’homme qui me déshonorera dans cent ans (le calomniateur) sera alors tout aussi coupable que s’il le faisait de mon vivant à la vérité il sera condamné par aucun tribunal criminel ; mais l’opinion publique, suivant en cela le droit du talion, lui infligera la perte de l’honneur qu’il a voulu ravir à un autre. — Le plagiat même qu’un auteur commet sur un autre qui est mort, est justement flétri comme lésant celui-ci (comme un vol d’homme), car si son honneur ne s’en trouve point offensé, une partie de ce qui lui revient lui est enlevé.