Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/514

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par exemple, qui habitent les côtes de la mer Glaciale, parlent une langue semblable à celle d’un peuple qui habite les monts Altaï, situés à deux cents milles de là. Un autre peuple, un peuple Mongole, cavalier et partant belliqueux s’est introduit au milieu d’eux et en a chassé une partie jusque dans des régions glaciales et inhospitalières, où elle n’aurait certainement pas pénétré de son propre mouvement[1]. — Il en est de même des Finlandais, qui, à l’extrémité la plus septentrionale de l’Europe, s’appellent Lapons ; ils ont été séparés par des peuples goths et sarmates, des Hongrois, qui, malgré leur éloignement, se rapprochent d’eux par la conformité de leur langue. Et qu’est-ce qui peut avoir poussé au nord de l’Amérique les Esquimaux (cette race d’hommes toute différente de tous les autres peuples de l’Amérique et qui descend peut-être de quelques aventuriers européens), et au sud, les Peschéres, jusque dans l’île de Feu, sinon la guerre, dont la nature se sert comme d’un moyen pour peupler toute la terre ? Mais la guerre elle-même n’a besoin d’aucun motif particulier ; elle semble avoir sa racine dans la nature humaine, et même elle passe pour une chose noble, à laquelle l’homme est porté par l’amour de la gloire, indépendamment de tout mobile intéressé. C’est ainsi que (parmi les sauvages de l’Amérique comme en Europe dans les temps de chevalerie) le courage militaire[ndt 1] est directement en grand honneur, non-seulement pendant la guerre (ce qui serait juste), mais aussi en tant qu’il y pousse, car on ne l’entreprend souvent que pour montrer cette qualité, en sorte qu’on attache à la guerre elle-même une sorte de dignité, et qu’il se trouve jusqu’à des philosophes pour en faire l’éloge, comme d’une

  1. Mais, pourrait-on demander : si la nature a voulu que ces côtes de glace ne restassent point inhabitées, que deviendraient ceux qui les habitent, si un jour (comme il faut s’y attendre) elle ne leur charriait plus de bois ? Car il est à croire qu’avec le progrès de la culture les habitants des pays tempérés utiliseront mieux le bois qui croît sur le rivage de leurs fleuves et ne le laisseront plus tomber dans ces fleuves, qui le charrient à la mer. Je réponds que les peuples qui habitent les bords de l’Obi, de l’Ienisey, de la Lena, etc., leur en feraient parvenir par le commerce, et qu’ils en tireraient en échange les produits en matières animales dont la mer est si riche dans ces parages ; il suffirait que la nature les eût forcés à faire la paix.
  1. Kriegesmuth.