Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/521

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


APPENDICE


Séparateur


I.

Sur l’opposition de la morale et de la politique, au sujet de la paix perpétuelle.

La morale est déjà par elle-même une science pratique[ndt 1], dans le sens objectif de ce mot, en tant qu’elle est l’ensemble des lois absolues d’après lesquelles nous devons agir ; et c’est une évidente absurdité que d’accorder à cette idée du devoir l’autorité qui lui est due pour prétendre ensuite qu’on ne peut pas ce que l’on doit ; car, s’il en était ainsi, il faudrait l’effacer de la morale (ultra posse nemo obligatur). Il ne peut donc y avoir d’opposition entre la politique, en tant qu’elle est la pratique du droit[ndt 2] et la morale, en tant qu’elle en est la théorie (entre la pratique et la théorie). À moins qu’on n’entende par morale l’ensemble des règles générales de la prudence[ndt 3], c’est-à-dire la théorie des maximes indiquant les moyens les plus propres à assurer l’avantage personnel ; ce qui reviendrait à nier en général l’existence de toute morale.

La politique dit : « Soyez prudents comme les serpents ; » la morale y ajoute (comme condition restrictive) « et simples comme les colombes. » Si l’un et l’autre sont incompatibles dans le même précepte, c’est qu’il y a réellement lutte entre la politique et la morale ; mais, s’il est absolument nécessaire que les deux choses soient réunies, l’idée du contraire est absurde, et il n’y a même plus lieu de poser comme un problème la question de savoir comment on peut mettre fin à cette lutte. Quoique cette proposition : l’honnêteté est la meilleure politique, contienne une théorie trop souvent, hélas ! démentie par la pratique, cette proposition, également théorétique : l’honnêteté est meilleure que toute politique, n’en est pas moins placée infiniment au-dessus de toute objection ; elle est la con-

  1. Eine Praxis.
  2. Als ausübender Rechtslehre.
  3. Eine allgemeine Klugheitslehre.