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DE LA DIVINATION


saisir l’instant favorable où la disposition de son sens intime le domine, comme le moment où les sentiments, les images vives et fortes abondent sans effort, et où il agit en quelque sorte sous l’influence d’une puissance étrangère. Aussi est-ce une observation déjà ancienne qu’au génie se mêle une certaine dose de folie. Tel est encore le fondement de la croyance aux oracles qui se tiraient de passages pris au hasard dans les poètes célèbres (comme poussés par une inspiration, sortes Virgilianæ) ; moyen semblable à la cassette des faux dévots de nos jours, pour découvrir la volonté du ciel ; telle est aussi l’interprétation des livres sibyllins, qui doivent avoir révélé aux Romains leurs destinées, et dont, par malheur, une partie fut perdue par une lésinerie très déplacée.

Toutes les divinations qui prédisent le sort inévitable d’un peuple, sort mérité cependant, et qui doit être amené par sa libre volonté, outre qu’il est inutile à ce peuple de le connaître, puisqu’il ne peut y échapper, ont cela d’absurde en soi, qu’on imagine dans cette destinée irrévocable (decretum absolutum) un mécanisme de liberté dont la notion est contradictoire.

Le comble de l’absurdité ou de l’imposture dans les prédictions était de prendre un misérable pour un voyant (de choses invisibles), comme si un esprit, qui lui tenait lieu de l’âme qui pendant tout ce temps aurait pris congé du corps, eût parlé par sa bouche, et de traiter le pauvre fou (ou même le simple épilepti-