Page:Kant - Anthropologie.djvu/180

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mise par imitation, mais qui peut bien avoir été un trait d’esprit dans la bouche du premier. Le peuple parle par sentence ; ce langage, dans le commerce avec un monde plus poli, prouve une absence totale d’esprit.

La solidité n’est pas, il est vrai, une affaire d’esprit ; mais en tant que l’esprit, par la couleur qu’il donne aux pensées, peut être un véhicule ou une enveloppe pour la raison et une garantie d’efficacité en faveur de ses idées moralement pratiques, c’est un esprit solide (par opposition à l’esprit superficiel). Telle est une des sentences admirables, comme on dit, de Samuel Johnson sur les femmes, citée dans la vie de Waller ; « Il en louait sans doute beaucoup qu’il aurait craint d’épouser, et il en épousait peut-être une qu’il aurait eu honte de louer. » Ce jeu d’antithèses fait ici tout le mérite ; la raison n’y gagne rien. — Mais où il y a des questions à débattre pour la raison, Boswell ne pouvait tirer de son ami Johnson aucune de ces sentences dont il était continuellement en quête, et qui révélât le moindre esprit ; tout ce qu’il disait sur les doutes en matière de religion, ou de droit gouvernemental, ou seulement sur la liberté humaine en général, n’était que lourdes platitudes, grâce à son naturel et à l’habitude despotique d’un ton tranchant, encore fortifiée par les flatteurs. Cette platitude, que les admirateurs de Johnson voulaient bien appeler de la rudesse[1], prouvait sa grande im-

  1. Boswell raconte qu’un jour un certain lord exprimait en sa présence le regret que Johnson n’eût pas reçu une meilleure éducation ; Baretti répondit : « Non, non, mylord ; vous auriez eu beau faire, il n’eût jamais été qu’un ours ; » « Mais au moins un ours danseur, » répartit l’autre. À quoi un tiers, son ami, répliqua, croyant adoucir le mot : « Il n’a de l’ours que la peau. »