Page:Kant - Anthropologie.djvu/430

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ingénieuse, plusieurs hommes recommandables ont rencontré » sur la simple voie de la raison jusqu’aux mystères de la religion, de même que des romanciers font fuir au loin l’héroïne de l’histoire, pour qu’une heureuse coïncidence ou le hasard lui fasse rencontrer son amant : Et fugit ad salices, et se cupit ante videri. Virg. Avec des prédécesseurs de cette autorité, je n’avais aucune raison d’hésiter à faire usage du même artifice pour procurer à mon écrit le succès désiré. Mais je prie instamment le lecteur de ne m’imputer rien de semblable. A quoi cela me servirait-il maintenant, puisqu’ayant dévoilé le secret, je ne pourrais plus tromper personne. Par malheur encore que le témoignage sur lequel je m’appuie, et qui ressemble si fort à ma conception philosophique, est d’une méchante et sotte apparence ; en sorte que je craindrais plutôt que le lecteur ne rejetât mes raisons comme absurdes, à cause de leur affinité avec de semblables déterminations, que de les tenir pour raisonnables par de tels motifs. J’avoue donc sans détour que je n’entends pas raillerie sur ces choquantes comparaisons, et je déclare tout net qu’on doit ou présumer dans les écrits de Swedenborg plus de sagesse et de vérité qu’il ne paraît au premier coup d’œil, ou que c’est pur effet du hasard s’il est d’accord avec mon système, comme il arrive quelquefois que des poètes, à ce qu’on croit, ou du moins à ce qu’ils disent eux-mêmes quand ils sont emportés par l’enthousiasme, prophétisent quelquefois, lorsqu’ils se rencontrent par ci par là avec l’évënement.

Je viens à mon objet, je veux dire aux ouvrages de mon héros. Si grand nombre d’écrivains aujourd’hui oubliés ou qui n’auront jamais de nom, ont le grand mérite de ne pas avoir épargné leur intelligence dans la composition de leurs grands ouvrages, Swedenborg mérite entre tous cet honneur. Certainement sa bouteille dans le monde lunaire est toute pleine, et ne le cède à pas une de celles qu’Arioste y a vues remplies de la raison ici-bas perdue, et que les possesseurs doivent un jour chercher, tant en est vide son grand ouvrage,