DE L'EMPIRE DE L'ESPRIT. 487
son (but qui est l'unité absolue), porte en soi un sentiment de la force, qui peut bien réparer jusqu'à un certain point les faiblesses de l'âge par l'estimation rationnelle du prix de la vie. — Mais de nouvelles perspectives s'ouvrent à l'extension de ses connaissances, et, quoiqu'elles n'appartiennent pas directement à la philosophie, elles produisent cependant le même effet, ou du moins un effet analogue; et si le mathématicien y prend un intérêt immédiat (non comme à un instrument pour un autre dessein), alors il est aussi philosophe en cela, et jouit du bienfait de cette espèce d'excitation de ses forces dans une vie rajeunie et prolongée sans épuisement.
Mais ceux aussi pour qui des occupations frivoles sont de véritables affaires, et qui, exempts de soucis réels, sont cependant toujours occupés, toujours affairés, bien qu'ils s'occupent de riens, mais parce que ces riens sont beaucoup pour leurs cerveaux bornés, ceux-là aussi, dis-je, atteignent en général un bel âge. — Un homme très âgé trouvait un grand intérêt à entendre sonner dans sa chambre, toujours les unes après les autres, un grand nombre de montres de toilette; ce qui l'occupait plus que suffisamment toute la journée, lui et un horloger, et procurait à ce dernier l'occasion de gagner. Un autre trouvait une occupation suffisante à donner à manger à sa volière et à la soigner: il partageait son temps entre ce soin et le sommeil. Une vieille femme opulente passait son temps à son rouet, en causant de choses insignifiantes ; elle se plaignait en conséquence dans son extrême vieillesse, comme de la perte d'une bonne compagnie, de ce que, ne pouvant plus désormais sentir le fil entre ses doigts, elle courait le risque de mourir d'ennui. Cependant, pour que mon discours sur la longueur de la vie ne vous ennuie pas, et par cela même ne vous devienne pas dangereux, je veux ici mettre des bornes à ce bonheur de parler que l'on raille comme un vice de la vieillesse, quoiqu'on ne le blâme ordinairement pas.