Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/10

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point sa pensée en une formule saisissante, en soutenant qu’il n’y a de scientifique dans une science quelle qu’elle soit que ce qu’il y entre de mathématiques[1] ; et s’il portait, de ce point de vue, sur la chimie et sur la psychologie de son temps, si entièrement empiriques et descriptives, un jugement sévère, le même esprit qui lui inspirait ce jugement l’eût mis en état d’apprécier à leur juste valeur les tentatives alors prochaines pour découvrir dans les phénomènes chimiques des relations exprimables en nombres. De même, nul ne s’est fait une idée plus juste de la physique moderne et de ses rapports avec les mathématiques ; d’abord il a montré en principe, avec une précision que nous avons oubliée, comment une suite de phénomènes donnés dans l’expérience est une suite qui dépasse, par ce qu’il entre en elle de données empiriques, une suite simplement mathématique, en sorte que, en tant que physique, cette suite ne se laisserait point construire, et requiert pour être connue le concours de l’expérience ; mais il n’en est pas moins vrai que cette suite, en tant qu’elle se développe dans l’espace et dans le temps, est soumise aux lois, à toutes les lois possibles des séries mathématiques, puisque l’hétérogénéité spécifiquement physique des phénomènes qu’elle enchaîne n’empêche pas qu’en dernière analyse elle soit homogène dans l’espace et dans le temps, par où son hétérogénéité même retombe, moyennant certains postulats, sous la juridiction universelle des mathématiques. Et ainsi la physique ne peut pas plus cesser d’être expérimentale qu’elle ne peut, d’autre part, se dispenser de donner aux phénomènes et à leurs relations une expression mathématique. Quant aux postulats qui rendent cette expression possible, Kant les dérive de trois conditions fondamen-

  1. Voy. Metaph. Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Vorrede, Hartenstein, IV, p. 360.