Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/226

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la quantité, puisqu’elles représentent a priori ce qui ne peut jamais être donné qu’a posteriori dans l’expérience. Mais supposé qu’il se trouve pourtant quelque chose qu’on puisse connaître a priori dans toute sensation considérée en tant que sensation en général (sans qu’une sensation particulière puisse être donnée), on devrait nommer à bon droit ce quelque chose anticipation dans un sens exceptionnel, parce qu’il paraît étrange d’anticiper sur l’expérience en cela même qui en constitue précisément la matière, que seule elle est à même de fournir. Et c’est ce qui se passe ici réellement.

L’appréhension faite simplement au moyen de la sensation ne remplit qu’un moment (si je ne considère pas, bien entendu, la succession de plusieurs sensations). Comme étant dans le phénomène quelque chose dont l’appréhension n’est pas une synthèse successive qui aille des parties jusqu’à la représentation totale, elle n’a donc pas de grandeur extensive ; l’absence de sensation dans le même moment représenterait ce moment comme vide et, par suite, = 0. Or, ce qui dans l’intuition empirique correspond à la sensation est la réalité (realitas phænomenon), et ce qui correspond à son absence est la négation = 0. Mais il faut remarquer que toute sensation est susceptible de diminution, si bien qu’elle peut décroître et disparaître graduellement ainsi. C’est pourquoi il y a entre la réalité et la négation dans les phénomènes un enchaînement continu de plusieurs sensations intermédiaires possibles séparées par un intervalle toujours plus petit que la différence entre le donné et le zéro ou la négation totale, c’est-à-dire que le réel dans le phénomène a toujours une quantité, qui pourtant ne se trouve pas (24) dans l’appréhension, puisque cette dernière s’effectue par la simple sensation, en un moment, et non par la synthèse successive de plusieurs sensations, et, par conséquent, ne va pas des parties au tout ; ce réel a donc une grandeur, il est vrai, mais non une grandeur extensive.

Or, j’appelle grandeur intensive la grandeur qui n’est appréhendée que comme unité et dans laquelle la pluralité ne peut être représentée que par son rapprochement de la négation = 0. Toute réalité dans le phénomène a donc une grandeur intensive, c’est-à-dire un degré. Si l’on considère cette réalité comme cause (soit de la sensation, soit d’autres réalités dans le phénomène, par exemple, d’un changement), on