Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/596

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retour une autre déjà existante. La discipline contribuera donc à la formation (zu der Bildung) d’un talent, qui déjà par lui-même a une propension à se manifester, mais par un appoint négatif[1], tandis que la culture et la doctrine y fourniront un appoint positif.

Que le tempérament, ainsi que les dispositions naturelles qui se permettent volontiers un mouvement libre et illimité (comme l’imagination et l’esprit = Witz) aient, à beaucoup d’égards besoin d’une discipline, c’est ce que tout le monde accordera facilement. Mais que la raison, qui a pour obligation propre de prescrire une discipline à toutes les autres tendances, ait encore elle-même besoin d’une discipline, c’est ce qui peut paraître assurément étrange, et, dans le fait, elle a échappé jusqu’ici à une pareille humiliation, pour cette raison môme qu’en voyant avec quel air solennel et quel maintien imposant elle marche, personne ne pouvait la soupçonner à la légère de substituer, dans un jeu frivole, des images aux concepts et des mots aux choses.

On n’a pas besoin d’une critique de la raison dans l’usage empirique qu’on en fait, parce que ses principes y sont soumis continuellement à l’épreuve de l’expérience qui leur sert de pierre de touche ; on n’en a pas besoin, non plus, dans la Mathématique où ses concepts doivent être représentés de suite in concreto dans l’intuition pure et où tout ce qui est sans fondement et arbitraire est aussitôt rendu manifeste par là. Mais là où ni l’intuition empirique, ni l’intuition pure ne retiennent la raison dans une voie parfaitement visible, je veux dire dans l’usage transcendantal, où elle procède par simples concepts, elle a tellement besoin d’une discipline qui réprime sa tendance au delà des étroites limites de l’expérience possible et la préserve de tout écart et de toute erreur, que toute la philosophie de la raison pure n’a pas d’autre but que cette utilité négative. On peut remédier aux erreurs particulières par la censure (durch Censur) et à leurs causes

  1. Je sais bien que dans le langage de l’école on a continué d’employer le mot de discipline comme synonyme de celui d’instruction. Mais, à l’encontre, il y a beaucoup d’autres cas où la première expression, au sens de correction (Zucht), est soigneusement distinguée de la deuxième qui signifie enseignement (Belehrung), et d’ailleurs la nature des choses exige même qu’on réserve, en faveur de cette distinction, les seules expressions convenables. Je souhaite donc qu’on ne se permette jamais d’employer ce mot-là dans un autre sens que dans le sens négatif.