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préface de la seconde édition

Être souverainement réel (par la contingence des objets changeants et la nécessité d’un premier moteur), je lui demande si, après être sorties des écoles, ces preuves ont jamais pu arriver au public et avoir la moindre influence sur sa conviction ? Or, si cela n’est pas arrivé et si l’on ne peut jamais l’attendre, à cause de l’incapacité de l’intelligence ordinaire des hommes pour d’aussi subtiles spéculations : si, bien plus, pour ce qui concerne le premier point, cette disposition remarquable naturelle à tout homme de ne pouvoir jamais être satisfait par rien de temporel, en tant qu’insuffisant au besoin de son entière destination, peut faire naître l’espérance d’une vie future ; si, par rapport au second point, la claire représentation des devoirs, en opposition avec toutes les exigences de nos tendances, suffit seule à faire naître la conscience de la liberté ; si, enfui, par rapport au troisième point, l’ordre magnifique, la beauté, la prévoyance qui éclatent de toutes parts dans la nature, sont suffisantes toutes seules à faire naître la croyance en un sage et grand auteur du monde, conviction qui se propage dans le public, en tant qu’elle repose sur des fondements rationnels ; alors, non seulement ce domaine reste intact, mais encore il gagne plus de considération, par cela seul que les écoles auront appris désormais à ne plus élever des prétentions à une vue plus haute et plus étendue que celle à laquelle peut arriver aussi facilement la grande foule (qui est digne de notre estime) et à se limiter ainsi uniquement à la culture de ces preuves, qui sont à la portée de tout le monde et qui suffisent au point de vue moral. Cette réforme ne porte donc que sur les arrogantes prétentions des écoles qui, ici, (comme, à bon droit souvent, sur d’autres points) aiment à se vanter d’être seules à connaître et à garder des vérités dont elles communiquent seulement l’usage au public, mais dont elles gardent la clef pour elles (quod mecum nescit, solus vult scire videri). Nous n’avons pas oublié cependant les prétentions plus justes du philosophe spéculatif. Il demeure toujours le dépositaire exclusif d’une science utile au public, qui ne s’en doute pas, je veux parler de la Critique de la raison ; jamais elle ne peut, en effet, devenir populaire, mais il n’est pas nécessaire qu’elle le soit ; car si les arguments finement tissés à l’appui de vérités utiles entrent peu dans la tête du peuple, son esprit n’est pas moins rebelle aux objections également subtiles que